Mathis Dumas : quand la montagne accouche d'une story
- Matthieu Amaré
- 15 avr.
- 11 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 3 jours
Depuis qu’on l’a vu emmener le YouTubeur Inoxtag sur le toit du monde, Mathis Dumas est devenu le guide de haute montagne le plus connu de France. Pourtant, l’ascension au sommet du jeune Ardéchois a été progressive et méticuleusement préparée. Portrait d’un gars sûr.

C’est qu’il se cognerait presque la tête en rentrant. Quand il débarque, Mathis Dumas doit presque se plier en deux pour pénétrer dans ce sous-sol exigu du 5ème arrondissement. L’ironie est savoureuse : lui, le guide de haute-montagne qui gravit l’Everest se retrouve coincé dans une cave. Pas vraiment son milieu naturel mais que voulez-vous, ici, c’est Paris. Et les interviews s’organisent dans des espaces aussi grands qu’une cabine de téléphérique. Ce soir, Mathis a quitté la Haute-Savoie pour se rendre à une soirée en l’honneur de Zag, son sponsor, une marque de ski dont les planches multicolores tapissent le mur de la boutique éphémère. Casquette vissée sur la tête, le trentenaire est aussi là pour serrer quelques paluches et peut-être même signer des autographes.
« Jamais je n’aurais pensé qu’un film sur la montagne puisse toucher autant de gens. Maintenant, c’est gravé pour l’éternité et je pense sincèrement que dans 20 ans, on en parlera encore »
Depuis qu’il a guidé Inoxtag au sommet de l’Himalaya, Mathis Dumas a tout simplement changé de dimension. Second rôle de Kaizen, le documentaire sur la montagne aux 43 millions de vues sur YouTube, il est devenu le guide de haute-montagne le plus médiatisé du pays. Profitant de l’incroyable buzz, il survole alors les plateaux et les émissions de podcast pour répéter à l’envi son parcours ainsi que les coulisses du film. Désormais, Mathis Dumas possède le statut d’un véritable influenceur qui dépasse largement le cercle des amateurs d'alpinisme. 700 000 abonnés sur Instagram, 200 000 autres sur une chaîne YouTube qu’il a créée il y a seulement six mois. À se demander si la casquette, c’est pour le style ou la tranquillité dans les rues de la capitale. « En vrai, je le vis bien, pose la nouvelle vedette. Quand les gens m’arrêtent dans la rue, c’est toujours pour me féliciter donc c’est super agréable. » Selon lui, en plus d’avoir fait un carton, Kaizen a vraiment conquis le grand public. « Étant donné la portée du travail d’”Inox”, je savais que le truc pouvait marcher, continue-t-il. Mais jamais je n’aurais pensé qu’un film sur la montagne puisse toucher autant de gens. Maintenant, c’est gravé pour l’éternité et je pense sincèrement que dans 20 ans, on en parlera encore. »
Zen restons zen
Mathis Dumas assure que Kaizen a même ravi la caution des professionnels de la montagne. Des esprits pourtant très sceptiques à l’annonce du projet par Inoxtag sur sa chaîne Youtube, le 6 avril 2024. « Je m’en souviens, c’était fou, rembobine le guide. Ça a d’abord fait les titres de la presse spécialisée puis ensuite tout le monde en a parlé. » Pour les guides, les amateurs de montagne ou les commentateurs du milieu de l’alpinisme, le projet d'Inoxtag traduisait ce qu’ils appellent « une surenchère de la montagne ». Pour eux, qu’un Youtubeur aussi influent fasse l’Everest participe forcément à la kermesse que sont devenues les expéditions sur le toit du monde. Mathis Dumas l’admet, il était un des premiers à critiquer l’initiative de son futur pote. « Je ne le connaissais pas, je ne connaissais d’ailleurs aucun YouTubeur à l’époque. Donc j’étais aussi extrêmement sceptique. » Quand on lui propose de participer au film, le guide réfléchira longtemps, de peur de se retrouver dans un véritable bourbier. « Le déclic, c’est quand je me suis dit que si je ne le faisais pas, quelqu’un d’autre allait le faire à ma place, explique-t-il. Et comme Inox me garantissait une grande liberté pour le guider mais aussi pour placer mon regard sur le film, je me suis dit que j’avais là une grande chance de faire valoir ma vision de la montagne. »
« Personne n’y croyait. Inès, il a ses codes de mec qui vient des jeux vidéo, son accent de banlieusard, son enthousiasme… rien qui aille avec le milieu très discret des guides de haute montagne »
Cette vision, il l’a chevillée au corps depuis qu’il a décidé d’être guide. Pour lui, la montagne en général et l'alpinisme en particulier souffrent de la course aux sommets emblématiques. Alors, « il faut montrer qu’il y autre chose que le Mont-Blanc et l’Everest ». Pour ce faire, Mathis Dumas va pousser son ami à se préparer et à se filmer sur des pics différents de celui de 8849 mètres. Et c’est précisément ce choix qui finira par convaincre les montagnards, les vrais. En vérité, la réception de Kaizen a selon lui, connu trois phases. La première concerne l’annonce du projet, très critiquée. La deuxième survient au moment où Inoxtag met en ligne la vidéo de son ascension du Mont-Blanc, à l’été 2023 (celle où Mathis Dumas apparaît pour la première fois, ndlr). Selon ce dernier, « c’est cette vidéo qui a rassuré beaucoup de gens ». Et la troisième fait référence à la sortie du documentaire « qui a été plutôt bien reçu ». Aujourd’hui, certaines critiques persistent, comme celle de l’alpiniste et photographe Pascal Tournaire dans L'Équipe qui trouve le rendu final « très égocentré » et compare l’ascension sous oxygène de l’Everest à « un tour de France en vélo électrique ». « Pascal, je le connais très bien, il habite à 500m de chez moi, répond Mathis Dumas. Je comprends sa critique, on en a beaucoup parlé. Après, elle visait surtout ce que l’Everest est devenu. Nous, on a jamais revendiqué une quelconque performance ».
Jeux vidéos, esprit de cordée et Kaizen 2
Mathis Dumas traverse l’après-Kaizen comme le franchissement d’une arête : le pied sûr, les sens en alerte. « À un moment donné, il a fallu arrêter la promo, lâche-t-il. Notre objectif avait été atteint et on sentait que nos interlocuteurs voulaient nous mettre à la faute. » Alors, le guide bascule dans une autre vie, gonflé par la notoriété et les nouveaux projets. Du film, il restera son amitié avec Inoxtag, de son vrai nom Inès Benazzouz, qui crève l’écran, 2h durant. « J’appelle ça l’esprit de cordée », résume Mathis Dumas. Soit un lien unique qui se forge entre deux alpinistes reliés par une même corde. Une complicité que les deux partenaires ne se sont pas gênés d’éprouver à nouveau. Le 11 avril dernier, Inès et Mathis sont repartis en montagne dans les Alpes pour gravir l’Aiguille Verte. Un sommet emblématique du massif du Mont-Blanc. « Rien à voir avec la surenchère de la montagne donc, glisse Mathis Dumas. Ce sera moins ronflant que l’Everest, mais plus technique. »

L’expédition débouchera sur une sorte de Kaizen 2. « Le K2 quoi », plaisante Mathis Dumas. Le genre de projet qui est complètement aligné avec sa vision de la montagne. Et qui va permettre au guide de dévoiler le vrai niveau de son « frérot ». « Il faut savoir qu’Inès est très chaud, confie-t-il. C’est un mec déterminé, rigoureux mais aussi extrêmement doué. Il percute super vite. En trois séances d’escalade, il faisait du 6a en tête. Il lui suffisait d’une seule explication pour réaliser des manip’ de cordes compliquées et de quelques indices pour qu’il sache expliquer parfaitement ce qu’est un sérac ou une rimaye sur un plateau télé. » C’est peut-être ce que Mathis Dumas aime le plus dans ce genre de projets : emmener avec lui une personne a priori étrangère à l’alpinisme et en faire un amoureux de la montagne. « Au départ, personne n’y croyait. Inès, il a ses codes de mec qui vient des jeux vidéo, son accent de banlieusard, son enthousiasme… rien qui aille avec le milieu très discret des guides de haute montagne. C’est aussi pour ça que Kaizen a été critiqué. Parce que ce monde de la montagne est encore très fermé vis-à-vis de personnalités comme celle d’Inès. Alors que moi, ça m’attire. » Avant d’ajouter : « Bon, ça vient peut-être aussi de mon propre parcours ».
La mort aux trousses
Mathis Dumas a grandi en Ardèche, à 3h de route des Alpes. Au départ, rien ne prédestinait le jeune garçon à cheminer sur les sentiers. Élève médiocre, il commence à décrocher lentement mais sûrement du milieu scolaire quand son père décide de faire une intervention. « Il m’a sérieusement demandé de réfléchir à ce que j’aimais faire parce que pour lui, j’allais tout droit au carton », glisse le trentenaire aujourd’hui. Alors le paternel ne lâche pas son fils qui lui, cherche le « concret » qu’il ne trouve pas dans ses cours de collège.
Après d'innombrables recherches pour trouver un établissement qui va bien, la famille porte son choix sur le lycée des métiers de la montagne à Saint-Michel de Maurienne, en Savoie. Là-bas, Mathis part passer un bac pro en maintenance industrielle dédiée aux remontées mécaniques. Un pari. « J’adorais le ski, donc la montagne ça m’allait bien. Et la maintenance mécanique pour moi, c’était très concret », explique-t-il. Sauf que le jeune Mathis part tout seul. « Et franchement le milieu n'est pas facile. Ça parle pas trop, c’est un peu fermé » continue-t-il. Même difficulté deux ans plus tard lorsque l’étudiant va s’installer dans la vallée voisine, à Chamonix, pour poursuivre un BTS. « C’est toujours un univers super particulier. Tout le monde se connaît dans les vallées. Les mecs ont fait du ski ensemble toute leur enfance. Tu ne déboules pas comme ça. Je me rappelle des premiers stages que j’ai fait à l’Aiguille du Midi, les types disaient : “Dumas ? Attends, c’est le fils à qui ? »
Aujourd’hui, il en est convaincu, ce parcours en solitaire a construit en grande partie sa carrière professionnelle. « Il a fallu se montrer deux fois plus rigoureux, deux fois plus exemplaire, explique-t-il. Dans le travail, mais aussi dans la vie, en société. Quand tu n'es pas d'ici, tu sens que t’es attendu. Donc je n’avais pas le droit à l’erreur. Il fallait être parfait. » À ce jour, après plus de 15 ans de présence dans la vallée, Mathis Dumas ne se sent toujours pas chez lui. « À Chamonix, les gens sont généralement de passage. Les trois quarts sont des étrangers ultra-riches. Tout est hors de prix. Il faut savoir que les loyers et les chalets sont plus chers au mètre carré qu’à Paris. » À 18 ans, le jeune adolescent galère pour se payer du matos, un forfait, à manger… Mais d’une, le métier commence à rentrer et deux, il sait qu’il a fait le bon choix : la montagne est définitivement son environnement naturel. Alors Mathis Dumas enchaîne les courses, s’amourache de l'escalade sur glace (qu’il pratiquera à haut-niveau en catégorie jeune, ndlr) et caresse l’ambition de devenir guide de haute-montagne.
« La montagne, c’est toujours un univers super particulier. Tout le monde se connaît dans les vallées. Les mecs ont fait du ski ensemble toute leur enfance. Tu ne déboules pas comme ça. Je me rappelle des premiers stages que j’ai fait à l’Aiguille du Midi, les types disaient : “Dumas ? Attends, c’est le fils à qui ? »
La préparation à l’examen probatoire du diplôme d'État de guide de haute montagne exige ce qu’on appelle « une liste de courses ». Dit autrement, une série de sommets que le candidat doit prouver avoir atteint. À 19 ans, Mathis Dumas est fin prêt. « À cet âge-là, on se sent invincibles, poursuit-il. Et un jour, avec un pote qui passait aussi l’examen, on décide de faire une course ensemble. Au taquet. Arrivés près du sommet, sur une arête débonnaire, je décide de le prendre en photo. Et il a glissé. » Ce dernier chute d’une centaine de mètres. Mathis pense alors qu’il vient d’assister à la mort. Quelques heures plus tard, les secouristes repèrent et récupèrent le corps de son ami qui s’en sortira miraculeusement indemne. « Sauf que moi j’ai vrillé, lâche Dumas. J’y pensais toutes les nuits. J’avais beau savoir que beaucoup d’alpinistes disparaissaient dans leurs ascensions, c’était la première fois que je voyais de mes yeux que la montagne pouvait te tuer. » L’épisode marque un tournant. Si Mathis passe bien son diplôme de guide, il goûte moins à l’engagement et à la prise de risque. Le jeune guide se déporte vers une activité, plus safe mais qui changera définitivement sa carrière : la photo.
Suivez le guide
Difficile de présenter Mathis Dumas en 2025. Guide de haute montagne ? Photographe extrême ? Réalisateur de films ? Influenceur ? Sans doute un peu tout ça à la fois. Désormais bien installé dans la vallée de Chamonix et en couple avec la quadruple championne du monde de snowboard, Marion Haerty, le jeune homme de 32 ans doit encore parfaire son équilibre. « Bon après, c’est assez simple hein, tempère-t-il sur son tabouret haut. Quand il fait beau, je suis dehors. Et quand il fait un temps pourri, je suis devant l’ordi. » Depuis Kaizen, Mathis Dumas avoue qu’il a du mal à gérer les sollicitations. Il y a les clients qui le veulent comme guide, mais aussi des sponsors, des projets, des collab’... Pour l’instant, l’homme multidimensionnel se concentre surtout sur ses forces : son côté créatif qui embrasse très bien ses facultés de guide. « Après l’accident, je me suis dit que la photo ferait une bonne plus-value à mon activité, souligne-t-il. J’avais abandonné mes ambitions d'alpiniste. Les clients aimaient bien ça et visuellement ça fonctionne très bien. » Mathis se sert alors de son activité de photographe comme d’une vitrine à celle de guide. Il est d’ailleurs le premier à le faire dans la vallée. Et forcément, casser les codes ça fait parfois grincer des dents… « C’est clair que je ne me suis pas fait que des amis au début, confirme-t-il. Culturellement, le milieu des guides de haute montagne est très réservé, très humble. Donner à voir en images, qui plus sur Instagram, leur jardin secret, ils ont pas kiffé. Et puis je me souviens que pendant mes études, un prof m’avait engueulé parce que je vendrais des journées plus chères que lui. »
À l’époque, le milieu ne sait même pas vraiment ce dont il s’agit. « Pour la petite histoire, rembobine Mathis, quand on passait devant le bureau des guides pour emmener des clients en montagne, les mecs pensaient qu’on était juste des guides touristiques. Et puis un jour, il y eu un accident et ils ont capté. Là, ils se sont dit : "Mais attendez, vous emmenez vraiment des gens en montagne en fait?!” ». Peu à peu, la médiatisation de la montagne sur les réseaux devient de plus en plus acceptée. Mathis Dumas a sans doute été un des pionniers mais aujourd’hui toute une génération de pro dépoussière l’image du guide de haute montagne qui serait forcément vieux et barbu. Les Benjamin Védrines, ou Charles Dubouloz médiatisent aussi beaucoup leur profession sur les réseaux sociaux. Mathis Dumas poursuit : « Le syndicat national des guides de montagne m’a même invité à donner une conférence consacrée aux réseaux sociaux et à l’influence. C’est bien la preuve que les choses bougent ». Quoi qu’il en soit, le guide-influenceur en profite et compte bien mettre à profit la palette de ses compétences pour montrer tout ce que l’évasion en montagne peut générer en termes de sensation. « Avec le nouveau matériel de plus en plus léger, tu peux combiner le vélo, le parapente, l’escalade, l’alpinisme… les aventures sont infinies, renchérit-t-il. Même chose avec le matos de prod, je me suis mis au drone. C’est incroyable. »
En guise de première production sur sa chaîne YouTube, Mathis Dumas a posté Out of Frame. L’histoire derrière la capture d’une photo de montagne spéciale, et toute l’organisation que cela suscite. Le film a déjà dépassé le million de vues. « C’est le propre de ce que je veux raconter, explique-t-il. Les coulisses de mon métier dans des endroits qui sont les plus beaux du monde. » La nouvelle star des guides tient d'ailleurs à le souligner : il ne s’est jamais mis en avant dans son travail, la montagne passe avant tout. « D’ailleurs, je devais même pas me retrouver dans Kaizen à la base ! », sourit-il. Et puis soudain du haut d’un sommet, c’est 43 millions de personnes qui vous contemplent. Tous propos recueillis par Matthieu Amaré, sauf mentions.