Lignes de vie : Antoine Le Menestrel invite Nanterre à lever la tête
- Pierre-Gaël Pasquiou
- il y a 5 heures
- 4 min de lecture
Le 30 août, à Nanterre, Antoine Le Menestrel et sa compagnie Les Lézards Bleus présenteront Lignes de vie. Plus qu’un spectacle, une traversée où le public marche aux côtés des interprètes, et où les murs deviennent partenaires de danse. Dans le nouveau quartier des Groues, encore en quête de mémoire collective, cette performance vient inscrire une première histoire, faite de gestes suspendus et de regards transformés.

Il ne s’agit pas d’un spectacle au sens classique. Lignes de vie est une traversée : la ville devient scène, le spectateur devient marcheur. Le 30 août, à Nanterre, dans le nouveau quartier des Groues, Les Lézards Bleus vont grimper, courir, se suspendre, et redonner au béton une fonction que l’architecte n’avait pas prévue : celle de provoquer de l’émotion. Une émotion qui ne se raconte pas, mais qui se vit sur place.
Antoine Le Menestrel : du rocher au béton, sans corde de rappel
Dans les années 80 et 90, Antoine Le Menestrel ne se contentait pas de « faire des perfs » : il sculptait des ascensions comme d’autres écrivent des poèmes. Grimpeur de haut niveau, ouvreur, performeur avant l’heure, il avait cette manière singulière de voir chaque voie comme un récit. Puis, alors que beaucoup auraient capitalisé sur leur palmarès, lui a tourné la page… pour en écrire une autre, plus vaste. La falaise restait dans son corps, mais son regard, lui, s’est posé sur les murs de la ville.
Ce virage l’a conduit à inventer la « danse de façade » : une discipline hybride, qui n’imite ni l’escalade pure ni la danse académique, mais qui puise dans les deux pour créer un langage inédit. Les murs deviennent des partenaires, les rebords, des répliques, les gestes, des phrases. Depuis, Antoine parcourt le monde avec sa compagnie, Les Lézards Bleus, pour amener la verticalité là où personne ne l’attend, et prouver qu’elle ne se résume pas à un sport ou à un loisir : c’est un état d’esprit.
Lignes de vie : marcher, grimper, raconter
Lignes de vie n’est pas une pièce que l’on regarde assis sur un siège numéroté. C’est une traversée, un déplacement collectif où le public suit les interprètes dans un quartier, un bâtiment, un espace à ciel ouvert. Les cinq danseurs-traceurs ne viennent pas « faire le show » : ils viennent dialoguer avec l’architecture. Chaque prise, chaque saut, chaque suspension est une réponse à une forme, une texture, une ouverture. Le parkour devient ici une grammaire, et la danse, une ponctuation.
Le public, lui, vit l’expérience au rythme de la déambulation. Parfois proche, parfois à distance, il se laisse surprendre par un mouvement sur un mur qu’il croyait inaccessible, par une silhouette suspendue là où son œil n’avait jamais regardé. Lignes de vie n’est pas pensé pour la caméra : il est pensé pour l’instant, pour l’énergie qui circule entre les corps, le mur et les spectateurs.
Les Groues : un terrain neuf à désordonner
Le quartier des Groues, à Nanterre, c’est l’urbanisme contemporain dans toute sa maîtrise : 65 hectares en reconversion, un mélange de logements, de bureaux, d’espaces verts, reliés à la future gare du RER E Nanterre-La-Folie. Pensé pour accueillir 12 000 habitants d’ici 2030, il affiche des façades propres, des perspectives soignées, des circulations fluides. En somme, un espace idéal… peut-être trop idéal. C’est là que réside l’enjeu : comment introduire de la vie dans un lieu qui n’a pas encore de mémoire collective ?
En investissant les Groues avec Lignes de vie, Les Lézards Bleus viennent inscrire une première histoire. Une diagonale sur un mur, un saut entre deux balcons, une pause en équilibre sur un rebord : autant de gestes qui, pour ceux qui les verront, feront partie de la cartographie intime du quartier. Quand, plus tard, ces spectateurs reviendront, ils ne verront pas seulement du béton. Ils se souviendront d’un corps qui l’a habité autrement.
Une tournée mondiale… et locale à la fois
Depuis sa création, Lignes de vie a voyagé. Maroc, Belgique, Espagne, Royaume-Uni… Chaque ville offre un vocabulaire différent. Les façades en pierre de Rabat ne parlent pas comme les briques rouges de Stockton-on-Tees, et encore moins comme les balcons de Port-de-Bouc ou les volumes italiens de la Festa di Roma. Antoine et ses interprètes adaptent leur langage à chaque nouvelle page architecturale, réécrivant sans cesse le spectacle.
Mais chaque représentation est aussi profondément ancrée dans son lieu. C’est ce paradoxe qui fait la force du projet : être capable de voyager dans le monde entier, tout en restant, à chaque fois, absolument spécifique à l’endroit où il se joue. Le 30 août, ce sera donc une version unique, façonnée pour les Groues, et qui ne se rejouera jamais à l’identique.
Un geste artistique et politique
Pour Antoine, « tracer » ne consiste pas à laisser une marque visible. C’est changer un regard. Quand on a vu un corps courir le long d’une façade, on ne regarde plus jamais ce mur de la même façon. C’est une manière douce, mais radicale, de réappropriation de l’espace public. Ici, la politique n’est pas dans le slogan, mais dans l’usage.
Et cette politique-là est contagieuse : elle invite chacun à imaginer d’autres façons de se déplacer, de vivre, de s’arrêter. Lignes de vie est un spectacle, oui, mais c’est aussi un acte d’ouverture : ouvrir des chemins invisibles dans des lieux qui semblaient fermés, ouvrir des possibles là où tout semblait réglé.
Informations pratiques :
📅 Samedi 30 août – 18h15
📍 Quartier des Groues, Nanterre (secteur Hanriot / Jardin des Rails)
🎟️ Gratuit – durée : environ 1h
🚆 RER E Nanterre-La-Folie, tram, bus