Interview : l’IFSC face au défi de la transition écologique
L’escalade a cette image d’un sport ancré dans la nature, en harmonie avec la roche et les éléments. Une illusion tenace, quand on sait que le circuit de compétition repose sur des murs en contreplaqué, des prises en plastique et un ballet incessant de vols long-courriers. L’IFSC le sait, et veut visiblement prendre le virage de la durabilité avec un plan ambitieux, inspiré des Objectifs de Développement Durable (ODD) de l’ONU.

Sur le papier, l’idée est de réduire l’empreinte carbone du circuit, d’améliorer la parité, d’encourager la consommation responsable, de renforcer la sensibilisation du public et des athlètes, mais aussi de mieux prendre en compte la santé mentale des grimpeurs, notamment lors de leur transition post-compétition. L’intention est louable, mais à la lecture du nouveau plan de durabilité une question demeure : comment tout cela va-t-il se concrétiser ?
Entre engagements fermes et déclarations d’intention, difficile de démêler ce qui relève du véritable tournant et ce qui reste au stade des bonnes résolutions. On a donc posé nos questions directement à l’IFSC.
C’est Federico Ferro, responsable du développement durable, et Silvia Verdolini, directrice de la recherche et du développement, qui nous ont apporté des éléments de réponse, sous l’égide de Fabrizio Rossini, directeur de la communication. Décryptage.
Un sommet à atteindre, mais une voie encore à équiper
L’IFSC annonce des objectifs clairs de réduction des émissions : -15 % d’ici 2026, -50 % d’ici 2030 et la neutralité carbone en 2040. Mais ces engagements se mesurent par rapport aux niveaux de 2022, sans que l’on sache précisément où en est la fédération aujourd’hui. On leur a demandé quelles actions concrètes allaient permettre d’y arriver.
« Nous avons mis en place un ensemble de lignes directrices en matière de durabilité, applicables aux opérations externes et au personnel interne, spécifiquement conçues pour atteindre ces objectifs. Ces nouvelles lignes directrices seront officiellement lancées en avril 2025 lors de l’Assemblée générale (AG). »
Des lignes directrices existeraient déjà, mais impossible d’en savoir plus. Est-ce une question de discrétion ou simplement parce que tout n’est pas encore complètement défini ? Difficile à dire. Ce flou pourrait aussi s’expliquer par un détail non négligeable : la Sustainability Commission, censée structurer et suivre ces engagements, n’existe tout simplement pas encore. Il faudra attendre avril 2025 et l’Assemblée Générale pour voir si ces orientations prennent une forme plus concrète ou si elles restent suspendues dans le vide.

« En attendant la formation de la nouvelle Commission, nous avons un groupe de travail actif composé du vice-président de l’IFSC Wolfgang Wabel, du directeur général Piero Rebaudengo, du responsable de la durabilité Federico Ferro, de la présidente de la Fédération estonienne d’escalade Kristiina Toots et du représentant des athlètes Campbell Harrison. Après l’Assemblée générale de l’IFSC, nous ouvrirons officiellement les candidatures à toutes les fédérations nationales membres pour constituer une Sustainability Commission à part entière. »
Autrement dit, les décisions actuelles sont prises par un groupe restreint, sans consultation plus large des fédérations membres. Une gouvernance en transition qui explique sans doute pourquoi certaines réponses restent floues et pourquoi il faudra attendre l'AG de 2025 pour voir plus clair.
L’IFSC assure néanmoins qu’elle pourra évaluer ses avancées grâce à des outils de calcul d’émissions carbone et produire un rapport de suivi. Mais là encore, aucune précision sur la fréquence de ces bilans ni sur leur accessibilité. Seront-ils publics ? Publieront-ils les émissions réelles des événements ? À ce stade, on reste dans le brouillard.
Compensation carbone : un effort, mais sans détails
En 2024, l’IFSC annonce avoir compensé 4 160 tonnes de CO₂ via la plateforme United Nations Carbon Offset pour un budget total de 10 000 €.Nous leur avons demandé quels projets étaient financés et selon quels critères.
« Nous allouons des ressources issues des contributions de nos organisateurs d’événements pour compenser les émissions, en veillant à ce que nos actions soient en accord avec nos valeurs et notre héritage. »
« En tant que grimpeurs, nous entretenons un lien profond avec la nature, c’est pourquoi nous soutenons des projets qui reflètent notre engagement en faveur de l’environnement et du développement durable. Nos initiatives sélectionnées portent sur des projets d’énergies renouvelables, des efforts de reforestation et des programmes d’efficacité énergétique — des domaines clés qui contribuent à la réduction des émissions de gaz à effet de serre tout en favorisant une croissance durable. Ces projets ne se contentent pas de soutenir l’action climatique mondiale, ils résonnent aussi avec notre volonté de préserver l’environnement naturel. »
Utiliser la plateforme de l’ONU est plutôt un bon point : ça garantit un minimum d’encadrement et ça évite le marché parallèle des crédits carbone plus que douteux. Mais la mention de la reforestation dans la réponse de l’IFSC mérite qu’on s’y attarde.
Planter des arbres pour compenser du carbone, ça a un certain charme. Sur le papier. Mais dans la réalité, c’est une méthode bien moins efficace qu’elle en a l’air. Des études ont montré que les effets secondaires du boisement pourraient neutraliser jusqu'à 30 % des bénéfices attendus en matière de captation du carbone. Et surtout, un arbre met des décennies à stocker le CO₂, alors que les émissions d’un événement sont immédiates. Un différé qui fait toute la différence.
Pour autant, il faut reconnaître que ce choix est moins critiquable que celui des crédits REDD+, ces programmes qui génèrent des crédits en échange de la simple préservation de forêts existantes, avec l’argument (très hypothétique) que sans eux, ces forêts auraient été rasées. Une enquête a révélé que 94 % de ces crédits étaient sans impact réel.

Ceci étant dit, si ces compensations s’inscrivent dans une logique de transition vers une vraie réduction des émissions, elles ont du sens. Mais si elles ne sont qu’un moyen d’absorber des émissions qui auraient pu être évitées, elles restent une rustine sur une corde effilochée.
Dans tous les cas, elles ne suffisent pas à elles seules à rendre le circuit plus durable. Le véritable enjeu se trouve désormais dans les actions futures de l’IFSC et leur capacité à réduire réellement leur empreinte carbone en amont, plutôt que de la compenser après coup.
Voyages et compétitions : le train oui, mais pas obligatoire
L'IFSC espère réduire de 50 % les émissions liées aux déplacements en optimisant les trajets et le calendrier. On leur a donc demandé si cette mesure allait être imposée ou si ça restait une simple incitation.
« Notre politique privilégie les trajets en train pour les distances de moins de 500 km, aussi bien pour les officiels de l'IFSC que pour le personnel. Bien que nous ne puissions pas imposer cette exigence aux athlètes, nous la recommandons fortement comme une option de voyage plus durable. »
« De plus, le calendrier des compétitions de l'IFSC est soigneusement conçu pour harmoniser les déplacements entre les événements, minimisant ainsi les longs trajets et réduisant les émissions globales. »
Pour les athlètes, c’est clair : une simple suggestion, sans obligation. Pour les officiels et le personnel, la formulation laisse un doute. Privilégier ne veut pas dire imposer, et l’IFSC ne précise pas s’il s’agit d’une règle stricte ou d’une incitation forte.
Quant au calendrier des compétitions, la réalité est plus nuancée que l'affirmation. La saison 2025 comporte toujours des déplacements intercontinentaux conséquents, avec des allers-retours entre l’Asie, l’Europe et l’Amérique du Sud. Certes, des ajustements existent peut-être en coulisses, mais l’idée d’un circuit optimisé pour limiter l’empreinte carbone des voyages reste à relativiser.
Concernant l’idée d’un plafond d’émissions par événement, l’IFSC adopte une posture plus prudente :
« Les lignes directrices comprendront un ensemble de critères pour limiter l’empreinte environnementale des événements. Concernant l’instauration d’un plafond d’émissions, il est encore un peu tôt pour cela, mais c'est une idée que nous pourrions concrétiser à l’avenir. »
On passe donc du simple volontariat à un hypothétique cadre futur, qui pourrait exister…
Équilibre hommes-femmes : une trajectoire encore floue
L’IFSC affiche une volonté d’atteindre une représentation équilibrée entre hommes et femmes d’ici 2028. Quand on leur demande quelles mesures concrètes sont mises en place, voici leur réponse :
« L’IFSC a rejoint le programme Women Lead Sport, qui a accompagné 24 femmes de 21 pays, ainsi que le programme WISH. Nos statuts prévoient plusieurs mesures pour favoriser la parité, notamment l’article 10.3.5, qui encourage les fédérations nationales à envoyer des délégations mixtes à l’Assemblée Générale. »
Des incitations, donc, mais pas de contrainte réelle. L’IFSC rappelle également un autre engagement dans ses statuts :
« Atteindre une représentation équilibrée des hommes et des femmes à travers l’organisation, des officiels aux entraîneurs, en passant par les commissions, d’ici Los Angeles 2028. »
Cet engagement marque une formalisation de l’objectif, mais l’IFSC va plus loin en insistant sur un historique égalitaire :
« Depuis le début, l’escalade sportive a garanti une égalité des récompenses entre hommes et femmes et a toujours eu une participation similaire entre les deux sexes en compétition. »
Cette version des faits est séduisante, mais elle gomme des réalités moins flatteuses. L’histoire de l’escalade compétitive n’a pas toujours été aussi égalitaire qu’elle le prétend. Certes, aujourd’hui, la parité en compétition est bien ancrée, mais cela n’a pas toujours été une évidence. Historiquement, des figures emblématiques comme Lynn Hill ont dû lutter pour obtenir l’égalité des prix.

Côté rôles techniques, l’IFSC met en avant un plan de développement des officiels, ainsi que sa participation à des programmes comme Women Lead Sport et WISH, destinés à former et accompagner les femmes dans des rôles d’encadrement.
Si la trajectoire vers 2028 est affichée, les moyens pour y parvenir restent encore flous. À ce stade, l’IFSC mise davantage sur des incitations et des recommandations que sur des mécanismes contraignants pour accélérer le changement. Est-ce que cette dynamique suffira à faire évoluer durablement la représentation des femmes dans les rôles clés du circuit ? Impossible à dire pour l’instant, mais au moins, la direction est posée.
Un plan… en suspens
L’IFSC a posé des ambitions claires : réduire son empreinte carbone, favoriser la parité, encourager une consommation plus responsable. Mais à la lecture des réponses, un point saute aux yeux : le comité chargé de mettre en œuvre ces engagements… n’existe pas encore.
En attendant sa création après l’Assemblée Générale 2025, les décisions sont entre les mains d’un groupe de travail restreint. Les actions concrètes sont encore floues, et les mesures contraignantes quasi inexistantes.
L’IFSC a donc bien un plan. Reste à savoir s’il trouvera les prises pour l’exécuter ou s’il restera un topo ambitieux, mais inachevé.