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Bleau, la forêt qui nous regarde tomber

Dernière mise à jour : 10 avr.

Si les rochers de Bleau pouvaient parler, on leur demanderait sans doute de se taire. Non pas qu’on soit mal élevé chez Vertige Media, mais simplement parce que certaines histoires gagnent à rester mystérieuses. Rien de pire qu'un spoiler géologique. À Bleau, le grès ne vous accueille jamais bras ouverts ; au mieux, il consent à tolérer votre présence. Chaque prise est une devinette silencieuse, chaque bloc un bras d’honneur métaphysique adressé au grimpeur trop sûr de lui. En publiant récemment sur YouTube « Les rochers de Fontainebleau, de grès et de force », Arte s’invite dans ce bras de fer subtil, dévoilant au passage quelques secrets vieux de 35 millions d’années. Autant tuer tout de suite le suspense (désolé, encore) : c’est très bon.


Fontainebleau Arte

Bleau, merde alors !


À une petite heure de voiture de Paris, Fontainebleau n’est pas seulement une forêt, c’est une leçon d’humilité version XXL. Il aura suffi d’un soupçon de patience (quelques dizaines de millions d’années, des mers tropicales, une pincée de glaciers pour relever le tout) pour transformer un désert sablonneux en l’un des lieux sacrés de l’escalade mondiale. Jadis fond marin paisible, devenu carrière lucrative, puis muse inspirée pour les artistes de Barbizon, Bleau est aujourd’hui une cathédrale à ciel ouvert pour les amateurs de gestes parfaits. La forêt a eu plus de vies qu’un groupe de rock star fatigué, mais elle continue à remplir les salles.


Le grès, ça ose tout


Arte nous entraîne délicatement à l’écoute de cette roche rebelle, qui, à Bleau, semble capable de pousser la chansonnette. Ici, les tailleurs de pavés ne plaisantaient pas avec la musique du grès. « Pif » ? Trop dur. « Pouf » ? Trop tendre. « Paf » ? Là, c’était le jackpot, parfait pour fouler les rues de Paris. Le grès résonne comme un Steinway capricieux sous les doigts de Glenn Gould : imprévisible, caractériel, mais irrésistible. Aujourd’hui, les anciennes carrières, noyées sous la mousse, rappellent que cette forêt est autant une cicatrice qu’une œuvre d’art. Une sorte de remix signé Dame Nature — si ça, c’est pas de la poésie, promis je rends mon clavier.


Messages codés et délires mystiques


Réduire Bleau à une salle de sport en plein air serait une bourde colossale. Quand les premiers homo sapiens débarquent il y a près de 40 000 ans, leur trip n’était pas exactement de placer le parfait talon-pointe pour sortir un 7a mythique. Eux, ils préféraient graver des motifs étranges, spirales mystiques et quadrillages abscons sur plus de 3000 roches. Moins tape-à-l’œil que Lascaux, certes, mais tout aussi cryptique. Le doc d’Arte imagine ces lignes comme des mantras répétitifs, une espèce de prière hypnotique façon chapelet préhistorique. Mystique ? Certainement. Psychédélique ? Carrément.


Bleau, laboratoire du geste parfait


Quand les grimpeurs débarquent au début du XXe siècle, ils ne pensent pas spiritualité mais pragmatisme : Bleau, c’est juste un amuse-bouche avant le festin alpin. Puis arrive Pierre Allain dans les années 1930, sorte de savant fou de la grimpe, Einstein du chausson qui révolutionne tout en douce. Il enseigne qu’une chorégraphie millimétrée vaut bien mieux qu’un vulgaire concours de biscotos. Bleau devient ainsi le berceau discret d’une révolution gestuelle, fondée sur la délicatesse et l’adhérence improbable, la grâce absolue ou la gamelle mémorable. Arte le rappelle finement : c’est là que l’escalade moderne est née. Merci pour l’info, on n'avait pas remarqué.


Grain de folie


Et puis il y a ce grain, ce foutu grain de rocher qui pourrait remplir tout un roman noir. Le toucher délicat et implacable du grès bellifontain défie la physique comme une mauvaise blague : ici, « on tient sur des prises sans avoir l’impression qu’il y en a », murmure joliment Arte. L’adhérence y tient plus du rite vaudou que de la mécanique rationnelle. Grimpeurs, grimpeuses, préparez-vous à négocier âprement chaque millimètre de roche, chaque micron d’ego : à Bleau, le grès est un miroir impitoyable.


Gogottes, Gogos & Ego-trip


Arte rend aussi hommage aux gogottes, ces formations de grès tortueuses façonnées par l’eau, jadis collectionnées par le jardinier de Louis XIV pour Versailles. Ironie cinglante, aujourd’hui ce sont les grimpeurs venus du monde entier qui se font collectionner par ces mêmes gogottes. Dans une ruée verticale parfois un peu trop frénétique. Au passage, Arte glisse habilement une pique aux egos surdimensionnés : le grès porte en lui le poids du temps, il exige plus de respect que d’arrogance.


Monumentalement… naturel


Bleau ne se réduit pas à une simple falaise déguisée en forêt. Au-delà de l’escalade et des curiosités géologiques, c’est un territoire culturellement sanctuarisé. D’abord carrière, puis « réserve artistique » dès 1861 sous l’influence des peintres de Barbizon, elle deviendra l’une des premières réserves naturelles au monde, aujourd’hui monument naturel. Victor Hugo l’appelait déjà « monument » — le gars avait décidément le sens de la punchline bien sentie.


Bleau pose les bonnes questions


Le doc d’Arte réalise ce joli tour de force : en dire beaucoup sans nous assommer, ouvrir sans tout dévoiler. Il rappelle subtilement que les blocs de Bleau ne sont pas seulement à escalader, mais aussi à lire, à écouter, à ressentir. Chaque bloc est une question posée autant au corps qu’à l’esprit : « Cette prise existe-t-elle vraiment ? Vais-je déchiffrer cette ligne ? Vais-je tenir cet équilibre précaire ? »


Grimper à Bleau, c’est toujours entrer en dialogue avec la pierre et, surtout, avec soi-même. On en ressort rarement indemne (vos doigts confirmeront), mais systématiquement grandi. Plus humble sans doute, plus humain certainement.


Ça, même Arte ne l’aurait pas mieux formulé.


Le mini documentaire « Les rochers de Fontainebleau, de grès et de force » est dispo sur la chaîne YouTube d’Arte. Et puisqu’il faut tout vous dire : on vous le recommande chaudement.



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