Eutrop : un bon son brut pour les grimpeurs
- Matthieu Amaré
- il y a 6 minutes
- 5 min de lecture
À 24 ans, Eutrop mène déjà plusieurs vies. Après des études d’ingénieur, il s’apprête à se lancer dans la vie active quelque part en Suisse auprès d'athlètes skieurs. Mais c’est à la scène que le Franco-Canadien commence à faire tourner son blaze dans le milieu de l’escalade. Alors qu’il vient de sortir un album avec son pote Clov, rencontre avec un DJ qui a sans doute le mieux compris comment amplifier le mouvement des grimpeur·ses sur le rocher.

Vertige Media : Comment t'as découvert l'escalade ?
Eutrop : J'ai découvert l'escalade il y a 6 ans, de manière plutôt sérieuse. C’est devenu mon sport n°1 et je m’y consacre trois à quatre fois par semaine. J’ai commencé à regarder des compèt’ et tout. Je pense que c’est parce que le nouveau style de grimpe m’a pas mal intéressé. J’adore les jetés, attraper des prises lointaines et difficiles. Quand j’étais plus petit, je grimpais toujours aux arbres. Parfois, je m’amusais à escalader la façade des écoles, mais bon, ça, j’en parle pas trop. Et puis, comme gamin j’étais tout le temps dehors, j’ai très vite commencé à grimper en extérieur. Quel kif. Ça me correspond bien. J’aime beaucoup les sports intenses où je peux me mettre dans des situations un peu dangereuses.
Vertige Media : Tu aimes donc le vertige que représente l'escalade, dans le sens où c’est une activité qui peut flirter avec le danger ?
Eutrop : Exactement. J'aime bien les trucs qui sont suffisamment intenses pour que je ressente des choses. Je fais aussi pas mal de parachutisme.
Vertige Media : Et tu grimpes où, en général ?
Eutrop : J’ai pas mal bougé en six ans. J’ai commencé en salles à Lyon et à Milan puis quand je me suis installé dans le Valais, en Suisse, je ne suis allé grimper que dans des blocs naturels. Là-bas, il y a des forêts qui ne sont pas trop fréquentées. Il y a 1000 ans, des chutes de pierre ont créé cet environnement incroyable où l’on se balade entre des gros blocs de cailloux sur lesquels on essaie de monter.
Vertige Media : Tu arriverais à verbaliser la sensation de bien-être que te procure la grimpe ?
Eutrop : Je ressens beaucoup de calme. Je pense que c’est lié à l’effort intense qu’on met dans la réalisation d’une voie. On le sent vraiment dans chaque mouvement. Qu’on soit parvenu en haut ou pas. C’est limite plus satisfaisant quand je n’y arrive pas d’ailleurs. Je me dis : « Tiens, ça je vais pouvoir le travailler, en faire un projet ». Tu rentres en concentration extrême. J’ai connu des moments un peu tristes dans ma vie. Et à chaque fois, l’escalade était vraiment le truc qui me faisait penser à autre chose.
« Je voulais vraiment mélanger quelque chose d'un peu dur, qui tape fort, comme le caillou. Et en même temps, je voulais intégrer des petites notes planantes qui représenteraient davantage le mouvement que font les grimpeurs »
Vertige Media : Tu as assez vite travaillé avec des marques comme Arc’teryx ou Karma8a en produisant la musique de leurs films. Quel genre de vibe retrouves-tu chez eux ?
Eutrop : Je trouve qu’ils sont très détendus. Ils préfèrent vraiment travailler des relations personnelles plutôt que de s’échiner à aller chercher les gens cool ou d’autres qui pèsent. Ça donne une ambiance de travail hyper chill, où on bosse beaucoup entre potes. On s’amuse. C’est d’ailleurs un peu la vision de l’escalade que défend Karma8a et que je partage. On va grimper pour kiffer, pas pour faire du 8a. Même si j’aimerais beaucoup faire un 8a un jour ! On y va pour traîner entre potes, faire nos trucs, se donner des challenges bien à nous, que ce soit facile ou difficile.
Vertige Media : En produisant la musique de plusieurs vidéos d'escalade, tu as dit que tu avais trouvé le type de son qui correspondait bien au flow du mouvement des grimpeurs pro. Est-ce que tu saurais définir ce type de son ?
Eutrop : Oui, du moins à ma manière. En parlant à pas mal de grimpeurs pro, j’ai réalisé qu’ils étaient tous hyper calmes. C'est des gens qui aiment bien faire des mouvements lents. Il y a une sorte d'histoire planante dans tout ce qu'ils font. Tout en sachant qu'ils grimpent sur des cailloux durs. Je voulais donc vraiment mélanger cet esprit dans ma musique en produisant quelque chose d'un peu dur, qui tape fort, comme le caillou. Et en même temps, je voulais intégrer des claviers dans le fond, des petites notes planantes qui représenteraient davantage le mouvement que font les grimpeurs sur ces cailloux.
Vertige Media : Et tout cela qualifie bien ta musique ?
Eutrop : Alors, j’ai commencé par faire beaucoup de house. Des morceaux assez simples et répétitifs. Mais quand René (Grincourt, co-fondateur de Karma8a, ndlr) m’a demandé de produire du son pour des vidéos de grimpe, j’y ai vu un défi hyper intéressant et je me suis créé une sorte de deuxième identité. Je mélange désormais plein d’univers : de la techno, au hip-hop en passant par la house.

Vertige Media : Quel lien fais-tu entre la montagne et ta musique ?
Eutrop : Je marche énormément en montagne, pour faire des sommets. Et je trouve que tu passes d’un processus long et un peu chiant parfois pour y arriver au kif instantané d’arriver en haut, d’avoir une vue etc. Tu as souffert mais ton plaisir décuplé te fait apprécier la montée a posteriori. Je dirais que c’est un peu la même chose avec ma musique où je commence généralement avec un seul élément répétitif. C’est juste un kick ou un clap. Puis on va monter crescendo jusqu’au pic, qui serait le drop dans la musique. Ensuite, c’est une redescente d’adrénaline. On rentre chez nous, quoi.
Vertige Media : Qu’est-ce que la montagne convoque en termes d’inspiration chez toi ?
Eutrop : J’ai grandi à Toronto, au Canada. Donc une très grosse ville. Mais une très grosse ville entourée de montagnes. J’ai donc vécu un peu entre les deux. On faisait beaucoup de sorties en nature avec mon père, du canoë tout ça. C’est la même chose entre le caillou et le mouvement. J’associe la ville à un côté un peu brut, un peu dur. Alors que pour moi, la montagne possède plutôt ce caractère planant, même si elle peut être un peu violente aussi, parfois.