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Équipe de France d’escalade : « On arrive aux Championnats avec un esprit conquérant »

L’Équipe de France de l’escalade est sur le point de débuter la compétition la plus importante de son année, à Séoul. Pour l’occasion, Damien You, le directeur de la haute performance de la FFME, revient longuement sur l’état des troupes, leurs chances de victoire et la nette évolution d’une sélection qui s’est bien installée dans le top 5 mondial. 


Thierry Delarue, Bern, 2023
Thierry Delarue, quadruple champion du monde en para-escalade. Ici, aux Championnats du Monde de Bern, en 2023 © David Pillet

Vertige Media : Dans quel état d'esprit l'Équipe de France aborde-t-elle ces Championnats du Monde à Séoul ?


Damien You : Avec un esprit conquérant. Il y a des grimpeurs·ses qui, pour certains, viennent avec de grosses ambitions, d'autres qui sont un peu plus jeunes et qui sont aussi là pour vivre une expérience de qualité. Dans notre délégation, il y a 12 grimpeurs·ses para, 6 garçons, 6 filles. Et il y a 17 grimpeurs·ses valides avec 9 garçons et 8 filles. On vient juste d'arriver, on s'installe, on prend nos marques.


Vertige Media : Est-ce que vous vous êtes assigné des objectifs concrets ?


Damien You : On ne fonctionne pas comme ça. J'ai toujours pris pour habitude de ne jamais faire de pronostics avant les compétitions parce que ça peut rajouter une pression supplémentaire sur les grimpeurs·ses. Ils n'ont pas besoin de ça. En revanche, il est évident qu'au regard de ce qu'ont fait certain·e·s sur la saison, un certain nombre d'entre eux/elles ont des ambitions élevées.


Vertige Media : Pourtant, le fait d’afficher des ambitions et des objectifs peut donner aux compétiteurs un but précis…


Damien You : Oui, mais c’est très individuel. Collectivement, je le répète, on arrive à Séoul avec un esprit conquérant. Ce qui ne veut pas dire qu’on va se mettre en tête un objectif de médaille ou de podium. Je pense que les athlètes se le disent suffisamment en amont de la compétition. Après, je ne veux pas faire de langue de bois non plus. Nous avons tous observé que nos grimpeur·ses ont fait d’excellents résultats sur les compétitions cette année. 


« Celle·eux qui ont un statut de favori·te se seront préparé·e·s en amont. D’autres vont arriver avec la trouille »

Vertige Media : Jusqu’à penser que certain·e·s entament la compétition avec un statut de quasi-favori, comme Oriane Bertone. Comment gérez-vous cela avec les entraîneurs nationaux ?


Damien You : On le sait, mais ce n'est pas la peine d'y passer trop de temps. Surtout pour un tel événement qui est le rendez-vous le plus important de l’année. Celle·eux ont un statut de favori·te, se seront préparé·e·s en amont. D’autres vont débarquer avec la trouille, parce que c'est leurs premiers Championnats du Monde, et c'est un truc énorme. Bref, ce sont des facteurs très individuels. C'est pour ça que je préfère ne pas parler de tel·le ou tel·le. 


Camille Pouget à Chamonix (2025)
Camille Pouget lors de la Coupe du Monde à Chamonix en 2025 © David Pillet

Vertige Media : Sur les performances globales de l’Équipe de France d’escalade, quel bilan dressez-vous de cette saison régulière post-JO ?


Damien You : C'est toujours particulier. Effectivement, après les JO, certain·e·s grimpeur·se ont tendance à se relâcher après 4 ans d’investissement, et c'est bien normal. Et puis il y a aussi un contexte particulier : on va passer d’un combiné bloc-diff à des disciplines individuelles. Ça change un peu la donne. Ce que je vois sur cette saison de Coupe du Monde, c'est que l'équipe de bloc a fait d'excellents résultats. Elle arrive donc avec des ambitions assez fortes. Il y a eu des choses intéressantes en difficulté, même si c'est un cran en dessous. 


« Ce que je retiens de ces JO, c’est une expérience particulière, un peu douloureuse pour certain·e·s, mais qui leur permet d’avancer dans une aventure extraordinaire »

Vertige Media : Avez-vous ressenti ce fameux « post-Olympic blues » chez les athlètes de l’Équipe de France ?


Damien You : Clairement. Mais pas que chez les athlètes, il se perçoit aussi sur le staff. Encore une fois, il y a forcément une forme de décompensation après les Jeux. Comme tous les athlètes qui ont participé aux Jeux - même ceux qui ont réussi et qui ont gagné la médaille d'or -, il y a eu un moment un peu particulier, un peu bizarre. Un certain nombre d'entre eux·elles se sont fait accompagner par des psychologues et des préparateurs mentaux. Et puis on les a accompagné·e·s aussi dans le retour progressif à la compétition sans précipiter les choses. On leur a laissé le temps de revenir tranquillement. Et puis d’autres ont encore besoin de prendre le temps. Ce n'est pas grave.


Vertige Media : Quelle analyse faites-vous de la performance de l'Équipe de France aux JO, avec un an de recul ?


Damien You : Contrairement à la perception de chacun, l'Équipe de France n'était pas favorite sur ces Jeux. Il y avait des ouvertures pour que certain·e·s athlètes gagnent des médailles mais ils/elles n'ont pas réussi à saisir les opportunités. Il faut dire que le contexte était un peu particulier avec une très forte attente. Certain·e·s l’ont bien abordé. Pour d’autres, ça a été un peu le choc. Il y avait beaucoup de jeunes dans l’équipe. C’était leur première expérience olympique. La très grande majorité d’entre eux·elles sont déjà reparti·e·s sur la préparation de Los Angeles 2028. Donc ce que je retiens de ces JO, c’est une expérience particulière, un peu douloureuse pour certain·e·s, mais qui leur permet d’avancer dans une aventure extraordinaire.


Vertige Media : À vous entendre, c'était un peu la première phase d'un projet qui doit maturer encore quatre ans, pour Los Angeles…


Damien You : Non, non. Ils ont joué les Jeux à fond. Évidemment, à leur âge, on s’était toutes et tous dit que cela pouvait être une expérience pour la suite. Mais ça ne sert à rien d’aller aux Jeux en disant : « Je vise ceux d’après ». Quand on voit la difficulté de se qualifier pour les JO, on n’y va pas en se disant : « Je vais voir comment c’est et puis on verra après ». On joue le jeu à fond, à chaque fois. Mais effectivement, cette équipe jeune, conquérante, compétitive réunit beaucoup d’espoirs pour les JO de 2028.


« Un certain nombre de grimpeur·ses manquent de constance dans la compétition. Ils/elles ont besoin d’aborder la dimension mentale un peu différemment »

Vertige Media : Vous parlez beaucoup de l'importance de la préparation mentale. En quoi est-elle devenue un élément majeur dans la préparation d'un athlète ?


Damien You : Quand vous regardez les Jeux ou les Championnats du Monde, finalement, c’est une compétition comme les autres. Il y a des voies à terminer, des blocs à faire. Ce sont des choses que les athlètes réalisent quasi quotidiennement à l’entraînement. En revanche, le contexte autour de l’événement sera toujours différent. C’est sur ça qu’il faut travailler. Et il ne faut pas le faire à trois semaines de la compétition. Il y a un long travail en amont qui va s’adapter aux qualités de chacun·e. En fonction des aptitudes et de l’expérience des un·e·s et des autres, on va privilégier des axes de travail plus ou moins importants dans les domaines de la dimension mentale. Pour certain·es, ça va être la concentration. Pour d’autres, ça va être la visualisation ou la gestion d’un événement pour lequel ils ont le statut de favoris.


Sam Avezou à Chamonix 2024
Sam Avezou à la Coupe du Monde à Chamonix en 2024 © David Pillet

Vertige Media : On entend souvent dire que le mental du sportif de haut niveau français serait « friable ». L'escalade n’échappe pas à la règle. L’entendez-vous ?


Damien You : Il faudrait comparer tous les athlètes du monde pour voir si effectivement les athlètes français n'ont pas le mental comparé à d’autres. Après, il est vrai qu'un certain nombre de grimpeurs·ses manquent de constance dans la compétition. Ils/elles ont soit besoin d'élever leur niveau pour pouvoir être plus à l'aise soit d’aborder la dimension mentale un peu différemment. Mais selon moi, c’est une espèce de rengaine qui est un peu... (Il réfléchit) Je ne l'entends pas que dans l'escalade. On l'entend aussi beaucoup au tennis.


Vertige Media : D'où cela vient selon vous ?


Damien You : Je pense que la dimension mentale est encore un sujet peu compris. Pour le coup, en escalade, ça fait un petit moment qu'on la travaille à l'entraînement. Ensuite, je pense que cette critique relève aussi du fameux « French bashing ». Je préfère être précis dans l'analyse de chacun·e des grimpeur·ses pour savoir ce qui ne leur convient pas, pour pouvoir être pertinent. On balance souvent des généralités quand on parle de dimension mentale alors que c’est une dimension complexe, avec des domaines très différents.


Vertige Media : Comment situez-vous aujourd'hui la France parmi les grandes nations de l'escalade mondiale ?


Damien You : Elle est dans le top 5, clairement.


« L’escalade se développe, c’est certain. On a changé de braquet. Ce n’est plus la même chose »

Vertige Media : Et si vous deviez caractériser la spécificité de cette équipe ?


Damien You : Bonne question. C'est compliqué, parce que cela consiste à faire un résumé d'individualités. Maintenant, je peux revenir sur l'état d'esprit dont je parlais au début de l’entretien. Moi, je les sens bien. Je les sens conquérants. Après, ça ne présage rien. Ils/elles sont toutes et tous passionné·e·s, motivé·e·s. On pourrait dire qu’en bloc, on est bons en dalle mais faire un tableau précis de nos forces dans chaque discipline, c’est compliqué. Si on parle un peu des athlètes para, je vois aussi qu’on peut nourrir de vrais espoirs en termes de performance. D’une manière plus générale, on a des athlètes qui se soutiennent, qui s’encouragent, qui s’entraînent ensemble dans un état d’esprit solidaire. On a des entraîneurs qui changent de discipline. C’est un groupe soudé, il n’y a pas de clan. Tout le monde se connaît et tout le monde a envie que ça marche.


Vertige Media : Sentez-vous que cette Équipe de France monte en puissance ?


Damien You : Si on se concentre sur le bloc, oui, clairement. On a toute une densité de jeunes qui arrivent et qui commencent à avoir quelques résultats. En difficulté, ça commence aussi. On a un jeune grimpeur qui a fait un podium cette année (Max Bertone, le frère d’Oriane, a remporté la médaille d’argent à Bali, ndlr). Je vois une génération de grimpeur·ses qui a envie, fortement aidée par des cadres qui ont arrêté mais qui sont désormais dans le staff et qui les poussent à fond.


Vertige Media : L’escalade se développe. C’est désormais une discipline olympique. Diriez-vous que ce nouvel écosystème permet à l’Équipe de France d’être plus compétitive qu’avant ?


Damien You : Oui, c'est certain. On a changé de braquet. Ce n’est plus la même chose. Et en même temps, il y a plus de compétitions donc plus de choses à assumer. Avec désormais trois disciplines olympiques distinctes et les paralympiques, ça fait beaucoup pour la fédération. Mais franchement, même si parfois on peut être dans le creux de la vague, on est quand même présent partout. Et globalement, les résultats de l’Équipe de France sont quand même très bons.


Vertige Media : Est-ce que cet engouement de l'escalade amateur, notamment avec le développement des salles commerciales, profite aussi au système fédéral ?


Damien You : Bien sûr. Ça crée de l'engouement, ça donne envie à des jeunes de pratiquer. Je vais encore souvent grimper en salles, un peu partout. Souvent, à la télé, il y a une étape de Coupe du Monde qui tourne. Donc les liens entre ces salles commerciales, les clubs et l'Équipe de France, se renforcent. Cet engouement permet aussi d’avoir davantage de structures d’escalade de qualité. Il crée aussi des supporters qui ont envie de pousser derrière l’équipe. C’est un cercle vertueux.


Le programme des Championnats du Monde 2025 de Séoul



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