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Para-escalade : « La France est la première nation au monde »

À côté des finales haletantes et des médailles d’argent d’Oriane Bertone ou de Mejdi Schalck, la vraie réussite de l’équipe de France lors des Championnats du Monde d’escalade 2025, c’est son équipe para. Coach adjoint, Baptiste Cruzel revient sur ses performances « totalement exceptionnelles » et ce qu’elles disent de la méthode française ainsi que de la manière dont on visibilise les para-athlètes. Entretien plaqué or.


La France en para escalade à Bern, en 2023
© IFSC

Vertige Media : Vous rentrez de Séoul avec 7 médailles dont 4 titres mondiaux. Quel est votre ressenti sur les performances de votre équipe ?


Baptiste Cruzel : Pour moi, ces mondiaux sont une réussite. Les athlètes qui avaient déjà des titres ou de grosses performances internationales ont réussi à renouveler l'exploit. Pour les médailles de bronze, ce sont des grimpeurs·ses moins expérimenté·e·s sur ce type d'échéances à enjeux. Ils/elles ont quand même réussi à décrocher des médailles, donc je suis très satisfait pour eux aussi. Douze athlètes représentaient l’équipe de France de para-escalade sur ces Mondiaux. La grande majorité d’entre eux/elles ont accédé en finale, c'est une bonne chose. Globalement, le sentiment est très positif pour toute l'équipe.


« Durer aussi longtemps à aussi haut niveau sans coup de mou, c'est remarquable »

Vertige Media : Cette performance est-elle particulièrement marquante ?


Baptiste Cruzel : La performance de l’équipe peut s'observer selon différents spectres. Il y a ces multiples médaillés installés depuis très longtemps. Pour Aloïs (Pottier, ndlr), c'est plus récent (2ème titre mondial, ndlr) mais pour les trois autres Thierry Delarue, Solenne Piret et Lucie Jarrige ils dominent leur catégorie depuis très longtemps (respectivement 5ème, 5ème et 6ème titre mondial, ndlr). Au vu de leur régularité et des performances qu'ils accomplissent, c'est totalement exceptionnel. Même au-delà de l'escalade, dominer autant et être quintuple champion du monde, c'est rare dans d'autres disciplines. Cette longévité n'est pas la norme dans le paralympisme : durer aussi longtemps à aussi haut niveau sans coup de mou, c'est remarquable.


Derrière, nous avons un deuxième groupe qui pousse très fort, avec tous les grimpeurs sélectionnés pour ces Championnats du Monde. Ce sont les potentiels « médaillables » des prochaines années, avec une structuration de leur environnement performance qui se réalise au fil des mois et des années.


Vertige Media : Comment la France se situe-t-elle au sein des autres nations ?


Baptiste Cruzel : Nous observons et analysons les performances de chaque nation au niveau international depuis quelques années. De 2018 à 2024, sur l'ensemble des étapes internationales - Coupes du Monde et Championnats du Monde - si on classe par nombre de médailles d'or comme aux Jeux Olympiques et Paralympiques, la France est la première nation au monde. Il existe d'autres méthodes d'analyse, comme le rapport médailles/nombre d'habitants, mais je me fonde sur l'analyse classique des performances internationales.


« J'ai l'impression que les voies de qualification de ces Championnats du Monde n'ont jamais été aussi difficiles. Les athlètes arrivent de plus en plus préparé·e·s et la concurrence est de plus en plus rude »

Cependant, nous observons depuis deux ans l'arrivée de nombreux athlètes et la structuration de nouvelles nations. Les Américains arrivent massivement sur les podiums et en finales. Les Roumains sont très présents depuis longtemps. Les Japonais sont de plus en plus nombreux. La Chine arrive avec une stratégie uniquement tournée vers les Jeux Olympiques et Paralympiques. Ils ne sont pas encore au niveau des autres nations en termes de performance, mais ils se structurent et sont nombreux. Cela laisse présager qu'ils prendront une place importante dans les prochaines années. La discipline sera plus compétitive, ce qui n'est pas une mauvaise chose.


Vertige Media : Concrètement, que signifie cette structuration des autres nations ?


Baptiste Cruzel : Nous ne pouvons pas avoir toutes les informations sur leur structuration interne, mais nous observons qu'au fil des années, il y a de plus en plus de nouveaux grimpeurs concurrentiels dans les catégories. Le niveau de performance augmente aussi. Les voies de qualification de ces championnats du monde n'ont jamais été aussi difficiles. Les athlètes arrivent de plus en plus préparé·e·s et la concurrence est de plus en plus rude.

Pour toutes les nations, l'enjeu est d'avoir des structures, des ouvertures et des prises cohérentes avec le haut niveau. Nous discutons régulièrement avec les coachs des autres nations pour identifier les axes de développement. Par exemple, les Roumains nous expliquent que leurs athlètes para-escalade sont très populaires dans leur pays, ce qui participe à une stratégie nationale de valorisation de cette discipline. Les Italiens et les Suisses commencent à développer des actions de détection, comme nous l'avons fait en France cette année.


Baptiste Cruzel Para escalade
Baptiste Cruzel en pleine causerie © Aurèle Bremond

Vertige Media : Qu'est-ce qui explique cette avance française ?


Baptiste Cruzel : Il faut rendre à César ce qui est à César. Les athlètes multiples médaillé·e·s qui font briller la France sont avant tout des grimpeurs·ses passionné·e·s qui s'entraînent depuis très longtemps. Ils/elles ont cette envie, cette motivation, cette dynamique d'aller au plus haut niveau d'eux/elles-mêmes. C'est le fond de ces performances : des athlètes ultra-motivé·e·s animé·e·s par ce très haut niveau de performance et de dépassement.


Il y a évidemment un environnement autour, sur lequel nous les accompagnons au mieux. L'équipe de France et les nouvelles dynamiques que nous instaurons avec les personnes de la fédération actives sur le sujet - Hélène Lerouge (référente para-escalade à la FFME, ndlr), Aristotelis (Liontos, entraîneur principal de l’équipe de France de para-escalade,ndlr), Hugues (Lhopital, coach adjoint, ndlr), le classificateur, le médecin de l'équipe - ont une influence considérable. La méthode française prend aussi sa source dans la cohésion d’équipe qui s’est instaurée au fil des regroupements, des stages, des compétitions avec une vision très tournée vers le collectif. Dans mes discussions avec certains multiples médaillés, j'ai l'impression qu'ils ne se sont jamais autant entraînés.


« La moyenne d'âge en para-escalade est plus élevée qu'en escalade valide. Ce sont souvent des personnes avec des vies déjà structurées. Leur demander de déménager pour s'entraîner peut signifier perdre un emploi, vendre une maison »

Vertige Media : Comment travaille l’équipe de France en termes de préparation des para-athlètes ?


Baptiste Cruzel : Nous avons une notion de « glissement » où nous visualisons les athlètes à différents niveaux. L'objectif est que ces niveaux roulent : tout en haut, les athlètes de très haut niveau, multiples médaillé·e·s. Juste en dessous, celles et ceux qui tendent vers ce niveau. Puis, encore en dessous, les jeunes détecté·e·s cette année qui s'entraînent de plus en plus, structurent leur entraînement et rejoignent des clubs dynamiques. Cette dynamique vise à maintenir la France comme nation concurrentielle sur le court, moyen et long terme.

Un de nos objectifs est de nous structurer au niveau des entraînements, du guidage et de l'accès à des structures qui permettent un projet cohérent de haut niveau. Nous menons ce travail par la création de séminaires et, à moyen terme, de formations pour la montée en compétences des guides et entraîneurs. Les athlètes doivent individuellement accéder aux structures les plus cohérentes près de chez eux, car il n'y a pas de Pôle France aujourd'hui.


Vertige Media : Quelles évolutions seraient nécessaires pour optimiser votre préparation ?


Baptiste Cruzel : Nous rêverions d'avoir un mur avec des ouvertures et des prises permettant aux athlètes de se mettre en situation de compétition au quotidien, mais ce n'est pas pour tout de suite. Il faut des moyens considérables, trouver le bon endroit en France, la bonne modalité. Il y a tout un tas de leviers à actionner.


Il faut aussi considérer une donnée importante : la moyenne d'âge en para-escalade est plus élevée qu'en escalade valide. Ce sont souvent des personnes avec des vies déjà structurées. Leur demander de déménager pour s'entraîner peut signifier perdre un emploi, vendre une maison. Chez les grimpeurs valides, la moyenne d'âge plus basse rend ces contraintes moins pesantes.


La France en para escalade à Bern, en 2023.
© IFSC

Vertige Media : Pourquoi cette moyenne d'âge plus élevée ?


Baptiste Cruzel : Les déficiences physiques et sensorielles arrivent statistiquement plus tard dans la vie. Plus on vieillit, plus on a de probabilités d'avoir des expériences de vie ou des pathologies menant à des déficiences. L'accès au sport pour les personnes en situation de handicap tend vers la démocratisation, mais peine encore à arriver précocement chez les très jeunes. Ces facteurs expliquent que les athlètes paralympiques, toutes disciplines confondues, aient des moyennes d'âge plus élevées que les athlètes olympiques.


Vertige Media : Quels sont vos objectifs pour Los Angeles 2028 ?


Baptiste Cruzel : En tant que staff, nous nous sommes fixé des objectifs, mais le principal est que les athlètes se fixent les leurs et les atteignent. Notre mission en tant que staff est de les accompagner et qu’ils puissent rayonner à leur juste valeur lors des Jeux. On peut imaginer que les multiples champion·nes du monde viseront le titre paralympique dans trois ans. Pour celles et ceux qui décrochent des médailles actuellement ou aspirent à en décrocher prochainement, ils/elles participeront également à cette quête de médailles.


Vertige Media : Sur un plan plus personnel, comment vous êtes-vous impliqué dans la para-escalade ?


Baptiste Cruzel : Depuis toujours, j'ai cette envie d'aider mon prochain. Jeune étudiant, je voulais faire kinésithérapeute, puis je me suis orienté vers l'ergothérapie - un métier paramédical qui consiste à accompagner les personnes pour qu'elles soient autonomes et indépendantes dans leurs gestes de la vie quotidienne.


« Cette image de super-héros c’est de la survalorisation. On rend ces grimpeurs exceptionnels non pas par ce qu'ils font, mais par ce qu'ils sont. C'est dérangeant car cela ramène ces personnes à leur déficience »

Durant ces études, j'ai orienté mes projets de groupe et mon mémoire autour de l'escalade comme moyen thérapeutique. Au milieu de ces études, le confinement est arrivé, provoquant une grosse remise en question. J'étais dans une période de recherche de performance personnelle en compétition et en bloc. Je me suis rendu compte que ce qui m'animerait vraiment serait de combiner les deux. J'ai donc fait des études dans le sport, spécialité escalade et entraînement sportif. En combinant les deux, je suis arrivé stagiaire auprès d'Aristotelis dans l'équipe de France. Petit à petit, il m'a laissé l'opportunité de me faire ma place et de participer au développement de l'équipe.


Vertige Media : Qu'avez-vous appris en tant que passionné de cette discipline ?


Baptiste Cruzel : Si je devais retenir une seule chose, c'est une image qu'Aristotelis et Hugues m'ont partagée quand j'ai commencé à les côtoyer : il ne faut pas visualiser un grimpeur para comme un grimpeur para. Il faut imaginer les grimpeurs, qu'ils soient para ou non, comme des pièces de puzzle. Toutes sont différentes - certaines dans les coins, d'autres sur les bords, d'autres au milieu. Chaque pièce a sa place quelque part, et il ne faut pas se dire qu'une pièce est fondamentalement différente d'une autre.


C'est pareil en para-escalade. Peu importe que le grimpeur n'ait qu'une main, qu'une jambe, qu'il n'ait pas la vue. Ce qui compte, c'est son projet, ce qu'il a envie de faire dans l'escalade, comment il veut s'investir, ce qu'il est prêt à mettre pour son objectif. Effectivement, il faut parfois adapter - ne pas mettre de prises bouchées à quelqu'un qui n'a pas de main, par exemple - mais globalement, dans l'approche, il faut voir ça de la même façon. Cette image du puzzle m'a beaucoup fait réfléchir et a alimenté ma conception de la discipline.


Vertige Media : Les récits médiatiques présentent souvent les para-athlètes comme des « super-héros ». Est-ce la bonne manière de les présenter ?


Baptiste Cruzel : Je ne suis pas vraiment d'accord avec cette approche. Si un grimpeur para réalise une performance exceptionnelle sur le papier, qu'il soit para ou non, là oui, ça peut être jugé exceptionnel. Mais ce n'est pas parce qu'un grimpeur fait une voie - même sans forcer - et qu'il n'a qu'une main ou qu'une jambe que cela devient automatiquement exceptionnel. C'est de la survalorisation. On rend ces grimpeurs exceptionnels non pas par ce qu'ils font, mais par ce qu'ils sont. C'est dérangeant car cela ramène ces personnes à leur déficience. Leur déficience fait partie de ce qu’ils sont, mais c’est une erreur de s’arrêter à cela.


Il me semble que ce n'est pas ce qu'ils viennent chercher en participant à une compétition. Ce qu'ils viennent chercher, c'est avant tout se dépasser et aller le plus loin possible dans leur performance personnelle. Ils ne viennent pas pour être idolâtrés parce qu'ils grimpent avec une seule main. Pendant les Jeux Paralympiques de Paris, on entendait partout : « C'est exceptionnel, ce sont des super-héros ». Un athlète l'a d'ailleurs remis en perspective sur un plateau de télévision (en réalité, il s'agissait du para-basketteur Sofyane Mehiaoui qui a répondu aux propos de Teddy Riner dans une story Instagram, ndlr) : « On n’est pas des super-héros, on est des athlètes. Donc, venez nous voir parce qu’on va faire des performances ».

Vertige Media : Comment jugez-vous l'évolution de la visibilité de la para-escalade ?


Baptiste Cruzel : Je suis forcément biaisé puisque je baigne dedans tout le temps, mais j'ai l'impression que petit à petit, ça se démocratise et devient plus visible. Cette impression s'appuie surtout sur des ressentis. J'observe que les récits, témoignages, démonstrations et publications tendent vers une augmentation de la visibilité.


Vertige Media : Quel message souhaitez-vous faire passer sur la réalité de la para-escalade ?


Baptiste Cruzel : C'est d'abord des athlètes qui s'investissent énormément dans leur développement sportif. Mais il ne faut pas oublier que la para-escalade, c'est une magnifique vitrine qui montre aussi à tous·tes les autres qu’ils/elles peuvent être accepté·e·s dans des clubs, avoir leur groupe de grimpeur·ses comme n'importe quel·le autre grimpeur·ses et vraiment kiffer leur pratique. L'équipe de France et les médailles, c'est formidable et c'est ce qui m'anime personnellement. Mais il ne faut pas oublier tous ces grimpeur·ses partout en France qui parfois ne savent même pas que la para-escalade existe en tant que discipline compétitive et paralympique.



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