L’Arête de l’éternité – L’odyssée perchée de Sandy Allan
C’est un livre que l'on ne cherchait pas, mais que l'on a trouvé. Enfin, que l'on nous a mis entre les mains. Lorraine, la responsable de la boutique Guérin à Chamonix, nous l’a tendu avec ce petit sourire entendu qui veut dire "Tu vas voir, c’est quelque chose". Elle avait raison.

Parce que L’Arête de l’éternité, c’est un récit d’alpinisme pas comme les autres. C’est un pavé dans la face, un journal de bord halluciné sur une ascension qui n’aurait jamais dû aboutir. Sandy Allan (57 ans) et Rick Allen (59 ans), deux Britanniques d’une autre époque, y racontent comment ils ont fait ce que personne n’avait réussi avant eux : la première traversée intégrale de l’arête Mazeno du Nanga Parbat (8 126 m), au Pakistan. Un truc dément, long comme un jour sans oxygène, où la cordée a joué avec les limites du raisonnable… et accessoirement avec sa propre survie.
L’Arête Mazeno, une idée qui gratte depuis trop longtemps
Le Nanga Parbat, c’est pas exactement la destination rêvée pour un trek familial. Surnommée la "Montagne Tueuse", elle se dresse au Pakistan, fière de son historique de drames et de récits qui s’achèvent mal. Parmi les itinéraires possibles, l’arête Mazeno est l’option "va voir ailleurs si j’y suis".
On parle d’une crête de 13 kilomètres à plus de 7000 mètres, où l’oxygène se fait la malle et où la moindre fausse note se paye cash. Avant Allan et Allen, personne n’avait osé la traversée complète. Trop long, trop paumé, trop casse-gueule. Mais il y a toujours quelques illuminés pour penser que les routes barrées sont les plus belles.
18 jours à se demander ce qu’ils foutaient là
Juillet 2012, l’équipe de départ est plus large, mais un à un, ils rendent les armes. Le manque d’oxygène, la fatigue, la peur… Il n’y a plus qu’Allan et Allen pour persévérer.
Ce qu’ils traversent ensuite, c’est une descente aux enfers, mais en montée. Un enfer blanc où chaque pas coûte un peu plus de ce qui reste de leur lucidité. Le froid les mord, la faim les ronge, l’altitude les vide, mais ils avancent, têtus, portés par cette folie propre aux alpinistes qui refusent de voir le gouffre sous leurs pieds.
Au bout de 18 jours d’ascension, ils atteignent le sommet. Ça pourrait être la fin du livre, mais non. Parce qu’en montagne, le sommet, c’est la moitié du chemin. La descente, par la voie Kinshofer, est une longue agonie où les corps ne répondent plus et où la mort est là, tapie dans l’ombre.
Ils arrivent en bas en spectres. Décharnés, vidés, mais vivants. Et dans le genre conte de fées hémoglobine, c’est déjà pas mal.
Un livre qui sent la sueur et le doute
Dans L’Arête de l’éternité, Sandy Allan ne se regarde pas grimper. Il n’y a pas de fioritures, pas de tape dans le dos, pas de grandiloquence. Juste un texte brut, qui dit la peur, la douleur, et cette obsession étrange qui pousse certains à se coller des défis déraisonnables.
C’est aussi un livre sur l’amitié en altitude. Allan et Allen, c’est une cordée à l’ancienne. Loin du bruit et des projecteurs, ils se comprennent en un regard, se supportent sans se ménager. Parce qu’à ces altitudes-là, un coéquipier, c’est pas juste un compagnon de cordée. C’est un gilet de sauvetage.
Une récompense et une fin tragique
L’histoire aurait pu s’arrêter sur une note triomphale : le duo reçoit le Piolet d’Or en 2013, consacrant cette ascension comme l’une des plus folles du siècle. Mais la montagne n’oublie jamais ses fous. En 2021, Rick Allen disparaît sur le K2, emporté par une avalanche. Une fin à la hauteur de sa légende.
Pourquoi il faut lire L’Arête de l’éternité ?
Parce que c’est un récit qui gratte, loin des belles histoires édulcorées d’alpinisme. C’est du rugueux, du réel, du viscéral. Ça parle d’épuisement, de glace, d’hallucinations et de cette absurde nécessité d’aller voir toujours plus haut, même quand tout en bas, ça crie d’arrêter.
Un livre que l'on referme en se demandant pourquoi certains s’infligent ça… et pourquoi d’autres, comme nous, aiment tant les lire.
Chez Guérin Editions Paulsen, disponible ici.