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Arc'teryx sous le feu des critiques : quand le marketing outdoor dévisse

Le 19 septembre 2025, la marque canadienne d'équipement outdoor organisait un spectacle pyrotechnique sur les crêtes sacrées du plateau tibétain. Trois jours plus tard, face au tollé international, Arc'teryx retirait sa vidéo en présentant ses excuses. Et en posant un vrai problème : comment une enseigne si soucieuse de la nature a pu piétiner à ce point son environnement ?

Aquarelle Tibet x Arc'teryx
(cc) Viden wang / YouTube

Les crêtes tibétaines scintillent sous le soleil d'altitude. À plus de 4 000 mètres, près de Gyantsé (une ville historique et culturelle du Tibet, ndlr) le plateau s'étend à perte de vue dans cette immensité minérale où le vent sculpte les roches depuis des millénaires. Soudain, une traînée de feu et de fumée colorée serpente le long d'une arête sacrée, dessinant dans le ciel raréfié les contours flamboyants d'un dragon mythologique. L'image est saisissante, presque irréelle : sur ces terres où les bouddhistes tibétains viennent se recueillir depuis des siècles, la pyrotechnie trace un trait artificiel spectaculaire.


Ce 19 septembre 2025, Arc'teryx pensait signer un coup de maître. La prestigieuse marque canadienne d'équipement outdoor venait de réaliser « Rising Dragon », une performance artistique ambitieuse en partenariat avec Cai Guo-Qiang, l'artiste chinois mondialement reconnu pour ses créations pyrotechniques, notamment celles des Jeux Olympiques de Pékin en 2008. Mais ce qui devait être une prouesse marketing s'est rapidement transformé en bourbier.


L'art de l'embrasement


L'idée semblait pourtant audacieuse : marier l'expertise technique d'une marque synonyme d'aventure extrême avec le génie créatif d'un maître de la pyrotechnie. Le concept ? Faire « voler » un dragon le long des crêtes himalayennes grâce à un tracé de feu et de fumées colorées. Le but ? Créer une œuvre d'art éphémère à couper le souffle dans l'un des paysages les plus spectaculaires de la planète. Mais dès la publication des premières vidéos sur les réseaux sociaux, l'enthousiasme cède place à l'indignation. Immédiatement, les images déclenchent un tollé. Les critiques fusent de toutes parts : comment une marque qui bâtit son image sur le respect de la nature peut-elle organiser un feu d'artifice dans un écosystème aussi fragile ?


« Imaginer vendre des vestes à 800 dollars pour les amoureux de la montagne, puis défoncer les montagnes »

Un internaute sur Instagram


La contradiction apparaît alors comme un dragon dans la pièce. Arc'teryx, qui cultive une image de communion avec la nature et de respect des environnements extrêmes, vient d'organiser un spectacle pyrotechnique dans l'un des écosystèmes les plus préservés de la planète. Les reproches se concentrent sur plusieurs points sensibles : l'impact environnemental potentiel sur un écosystème d'altitude particulièrement vulnérable, les risques pour la faune, la flore, les sols et l'eau de cette région. Mais aussi la dimension culturelle explosive : ces crêtes sont considérées comme sacrées par les bouddhistes tibétains.



Quand les excuses empirent la crise


Face à la tempête, Arc'teryx et Cai Guo-Qiang tentent de limiter les dégâts. Le dimanche 21 septembre, soit deux jours après l'événement, la marque publie des excuses publiques et retire la vidéo de ses plateformes. Arc'teryx reconnaît alors que l'événement est « désaligné » avec ses valeurs, tandis que l'artiste présente également ses excuses. Sur son compte Instagram, la marque reconnaît que « cet événement était en opposition directe avec notre engagement envers les espaces naturels, avec ce que nous sommes et ce que nous voulons être en tant qu'équipe et en tant que communauté », ajoutant qu’elle « traite ce sujet directement avec l’artiste local impliqué et avec [leur] équipe en Chine ». Mais cette tentative de récupération tourne au fiasco. Deux messages d'excuses distincts sont publiés : l'un en chinois sur les réseaux sociaux chinois, l'autre en anglais sur Instagram. La différence de ton entre ces deux communications alimente un second backlash, cette fois en Chine, où les internautes dénoncent une approche à géométrie variable. La version internationale des excuses soulignait l’incompatibilité de l’événement avec les principes outdoor de la marque, tandis que la déclaration en chinois déplaçait l’accent vers la célébration culturelle et la collaboration locale — ce que certains critiques ont perçu comme une tentative d’Arc’teryx de rejeter la responsabilité sur l’équipe basée en Chine. « Ne présentez pas cela comme la seule ‘faute de l’équipe en Chine’. Arc’teryx est une marque mondiale — vous êtes responsables de ce que fait votre marque dans chaque région », pouvait-on lire dans un commentaire sur Instagram.



Pour justifier l'opération, Arc'teryx et ses partenaires avancent plusieurs arguments : utilisation de matériaux biodégradables, déplacement préalable des troupeaux, éloignement de la faune avec des blocs de sel, et conformité à des standards « olympiques » internationaux. Ces promesses sont vivement contestées par les critiques, qui y voient une tentative de greenwashing a posteriori mais surtout une opération qui contrevient totalement au positionnement premium et exigeant de la marque canadienne. « Imaginer vendre des vestes à 800 dollars pour les amoureux de la montagne, puis défoncer les montagnes », a commenté un utilisateur sur Instagram. « Le climat mondial se dégrade déjà, et ces foutus personnes ne laissent vraiment aucune chance de survie aux animaux et plantes sauvages », a déclaré un utilisateur de Weibo.


Le paradoxe du marketing « nature »


L'affaire prend rapidement une dimension officielle. Les autorités de Shigatsé annoncent l'ouverture d'une enquête avec vérification sur site après la polémique. Cette investigation officielle marque un tournant : ce qui était initialement perçu comme une simple bourde marketing devient un cas d'étude pour les autorités environnementales chinoises.

Plus révélateur encore, la China Advertising Association (CAA) intervient publiquement dans le débat. L'organisation professionnelle à but non lucratif critique publiquement la marque et appelle à un marketing plus responsable, signalant une prise de conscience sectorielle des dérives potentielles du marketing empirique.


L'épisode illustre surtout l'ignorance parfois crasse ou l'absence totale de discernement d'acteurs supposément légitimes quand il s'agit de lancer des campagnes

Cette affaire révèle plusieurs tensions contemporaines du marketing outdoor. D'abord, celle de l'écoblanchiment en altitude : comment concilier l'image « nature » d'une marque avec des actions marketing potentiellement destructrices ? La contradiction entre promesses environnementales et pratiques réelles interroge sur l'authenticité des engagements écologiques des marques de sport outdoor. Ensuite, la question culturelle et spirituelle. Le charivari provoqué par ces feux d'artifice sur une montagne sacrée tibétaine rappelle que le marketing globalisé doit composer avec les sensibilités locales, particulièrement dans des régions où la dimension sacrée du paysage reste prégnante. Enfin, l'épisode illustre surtout l'ignorance ou l'absence totale de discernement d'acteurs supposément légitimes quand il s'agit de lancer des campagnes. Le faire, c'est non seulement piétiner des siècles d'histoire et de culture locale mais surtout oublier que ce sont désormais des milliers de personnes connectées qui peuvent - bien heureusement - scruter et dénoncer l'incurie des marques irresponsables.


L'affaire Arc'teryx au Tibet pose une question fondamentale : jusqu'où peut aller le marketing dans des environnements fragiles ? Alors que les marques outdoor cherchent constamment à renouveler leur communication dans un secteur ultra-concurrentiel, cette polémique pourrait marquer un tournant. D'un côté, elle dit beaucoup de la course à l'échalote à laquelle se sont adonnées les enseignes pour événementialiser toujours un peu plus leur communication. On peut aisément imaginer que ce qui restera comme l'un des épisodes les plus problématiques de l'histoire d'Arc'teryx va provoquer de solides brainstorming en interne afin d'empêcher la récidive. De l'autre, l'enquête officielle en cours donnera-t-elle naissance à de nouvelles réglementations ? Les autres marques du secteur tireront-elles les leçons de cette controverse pour adapter leurs stratégies ? Entre les sommets himalayens et les bureaux marketing, l'escalade de cette polémique interroge sur l'évolution d'un secteur qui prétend célébrer la nature tout en cherchant sans cesse à la théâtraliser. Une chose est certaine : l'épisode du « dragon tibétain » restera comme un cas d'école sur les limites à ne pas franchir quand on veut faire du business avec le sacré.

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