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Episode 4

Alain Robert :
LA REVANCHE
D’UN Punk

écrit par Matthieu Amaré

designé par Pierre-Gaël Pasquiou

Attroupement derrière les préfabriqués de la Porte de Versailles. Au milieu des stands, Alain Robert pose avec Oriane Bertone, triple championne de France et vice-championne du monde de bloc. Du haut de la photo, c’est 40 ans de grimpe en mutation qui nous contemple. Quand le vieux grimpeur fait des signes « rock and roll » avec les doigts, l’espoir de l’escalade française dissimule un rire derrière la paume de sa main. Un petit mot sympa, une légère accolade puis Bertone disparaît pour laisser Alain Robert aux prises avec une vingtaine de jeunes venus dédicacer leur fingerboard.

Legacy, son héritage

À plus de 60 ans, la popularité du French Spiderman semble intacte, même auprès d’un public âgé de 18 à 25 ans. La raison tient à sa proximité avec la relève de la grimpe urbaine. Si Alain Robert s’encorde pour gravir le Burj Khalifa avec Alexis Landot c’est autant pour prouver qu’il est encore dans le coup que pour toucher sa base d’un million et demi d’abonnés du jeune soloïste de 23 ans. Le parrain de l’escalade urbaine ne manque pas non plus de s’afficher avec Leo Urban, le « Tarzan français » qui grimpe aussi des buildings et qui compte plus de 2 millions d’abonnés sur Insta et 300 000 sur YouTube. Autant de pas dans la porte qui ont un objectif : s’assurer que sa légende imprime encore comme il faut auprès d’un public jeune, passionné par ses escalades dangereuses et pleines de suspense.

« Il ne peut plus vendre ses solos sur le rocher. C’était il y a 30 ans, tout le monde s’en fout »

Philippe Poulet

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Le sexagénaire ne s’y trompe pas. Gérant lui-même sa communication sur ses réseaux, il utilise les mêmes codes que ses héritiers. Des reels de 30 secondes qui ouvrent sur des glissades, du vertige et des titres comme « All of the sudden, I slipped and nearly fell… What the fuck ». La recette fonctionne. Alain Robert est aujourd’hui un des rares grimpeurs à dépasser le million d’abonnés sur Instagram, loin devant les athlètes français en vogue comme les frères Mawem, Oriane Bertone ou Mejdi Schalck. Néanmoins, cette omniprésence digitale se fait au prix d’une certaine dispersion, pour ne pas dire un grand n’importe quoi. Jetée dans le monde des réseaux sociaux, le French Spiderman semble vouloir s’accrocher à tout ce qui bouge, en faisant sa Toile partout et nulle part à la fois.

En interview, Alain Robert se plaint encore. Cette fois-ci, c’est la faute des drones qui n’existaient pas du temps de ses premières ascensions et à qui on ne pourra jamais rendre justice, comparées aux vidéos d’Alexis Landot ou de Leo Urban. Le grimpeur va alors s’adonner à une énième tirade sur le fait que les gens ne pourront pas retenir son vrai héritage, qu’il appelle « my legacy ». Cette obsession pour la reconnaissance se confond partout. Elle se glisse entre les questions et les réponses, remplit le moindre blanc dans la conversation, colore la moindre digression. Sur le Net, elle est aussi de tous les lives Instagram. Alain Robert ne cesse de répéter ses mots clés/principales réalisations comme un alphabet : Pol Pot, La Nuit du Lézard, premier 8b en solo etc. Pour Philippe Poulet, rédacteur en chef de Vertical, cette dispersion médiatique « fait monter la sauce ». « Elle sert sa notoriété. C’est aussi son fond de commerce. Il a besoin de constamment parler de lui pour ensuite décrocher des contrats ». Alors depuis Bali, Robert poste énormément. Depuis qu’il s’est installé sur l’île avec sa deuxième femme et son quatrième fils, difficile pour le grimpeur de vivre d’amour et d’eau fraîche. Et ce n’est guère le petit partenariat avec le Sofitel local qui va pouvoir lui financer un train de vie arrosé au champagne. « Ses ascensions lui rapportent un peu d’argent mais il en fait beaucoup moins qu’avant, continue Poulet. Ses principales ressources, ce sont ses conférences ». Des prises de paroles que Robert peut facturer entre 10 000 et 12 000 euros à de grandes entreprises qui aiment tant motiver leurs cadres avec des récits d’aventures.

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Alain Robert et Alexis Landot au sommet du Burj Khalifa, la plus haute tour du monde © Coll Alexis Landot

Pour bien se vendre, Alain Robert n’a pas le choix. Même s’il ne lui plaît pas, c’est son surnom de French Spiderman qui assure l’essentiel de sa puissance marketing. En vérité, l’araignée est partout : sur son site officiel, sa chaîne YouTube, son compte Instagram… « Il ne peut plus vendre ses solos sur le rocher, explique Philippe Poulet. C’était il y a 30 ans, tout le monde s’en fout ». Même s’il place toujours quelques anecdotes sur le caillou dans ses masterclass, Alain Robert en revient forcément aux immeubles. « Ça parle davantage aux gens, renchérit son frère, Thierry. Les buildings, c’est la ville, c’est le décor de leur vie. Et Spiderman, ça imprime beaucoup plus que des cotations ». Ce qui explique aussi que plus le grimpeur essaiera de réhabiliter ses performances sur le rocher, plus il créera du décalage. « En même temps, Alain ne fait plus grand-chose à part communiquer, souligne Laurent Belluard, son biographe. Il est forcément obligé de remplir le vide puisqu’il ne fera plus jamais rien sur le rocher ».

« Ma force, ça a toujours été de grimper à ma limite. Avant, j’étais une Ferrari en zone rouge. Aujourd’hui, je suis une Clio Diesel en zone rouge ! »

Alain Robert

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Pour ses 60 ans, l’iguane a tout de même tenté un petit coup médiatique : un come-back dans le Verdon pour faire quelques images et montrer au monde entier qu’il pouvait encore donner le vertige sur le caillou, pieds nus et en peau de serpent. Sauf que cela ne s’est pas passé comme prévu. Philippe Poulet était là. « Il s’est rendu compte qu’il était à la rue, assène-t-il. Il est parti du 6a+ et il a galéré comme jamais. Il était au taquet tout le temps (il était à vue, à 250m du sol, ndlr) ». Son ami, débarqué pour prendre des photos, s’est même fait quelques frayeurs. « Quand il a voulu se lancer en solo, je lui ai gueulé dessus et lui ai balancé une corde. En vérité, il était venu de Bali les mains dans les poches, en pensant qu’il ferait le Verdon sans se préparer. Mais t’as vieilli mon pote ! » Invité pour l'événement, les caméras de l’émission Riding Zone tournent aussi. Elles filment un Alain Robert qui tâtonne et qui confie face caméra qu’il n’est plus dans le coup. « Je suis complètement dépassé »,  lâche-t-il dans une séquence assez émouvante du documentaire. Et finit par dire : « Je ne maîtrise plus le sujet, on arrête ».

Trois ans plus tard, le grimpeur avoue que cet épisode l’a un peu secoué. Mais avec le recul, il ne regrette aucun moment : l’escalade au taquet est une de ses maximes de vie. « Ma force, ça a toujours été de grimper à ma limite. Avant, j’étais une Ferrari en zone rouge. Aujourd’hui je suis une Clio Diesel en zone rouge ! », aime-t-il répéter. Au volant de sa citadine, Alain Robert ne compte pas s’arrêter là. En 2023, il décide de faire chaque année la Tour Total de la Défense jusqu’à l’âge de départ à la retraite annoncé par le gouvernement français donc 64 ans, peut-être 67. La dernière fois, le vieux briscard s’est offert la compagnie du meilleure falaisiste du monde en la personne de Sébastien Bouin. Un kif, entre quelques glissades. La boue sur les chaussons d’abord, puis une forte polémique ensuite. La communauté des grimpeurs reprochant aux deux grimpeurs de s’afficher sur la tour d’une des entreprises les plus polluantes du monde.

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Alain Robert en free solo dans le Verdon, à 60 ans © Coll Philippe Poulet

La dernière fleur sur Terre

C’est aussi ça l’énigme Robert. Parmi les divagations et les déluges de mots, difficile de discerner où se situe le personnage-citoyen. Il est souvent arrivé au grimpeur de se servir de ses ascensions pour exprimer des causes comme le Cheung Kong Center en 2019, en Chine où il déploie une banderole en soutien aux manifestations pour la paix entre Hong Kong et Pékin. Ou dix ans auparavant à Londres pour alerter sur le réchauffement climatique. Puis dans la foulée, il prend l’avion en première classe pour aller donner des conférences à des banques privées. Dans un récent portrait publié par le magazine américain, The Summit Journal, il est même dépeint en complotiste qui remet en cause les premiers pas de l’homme sur la Lune. « Des conneries proférées par le journaliste », balaie l’intéressé. La faute notamment à ses interventions, publiques et répétées, sur la guerre en Ukraine. Des analyses qui remettent souvent en cause le narratif dominant des médias de masse et qui peuvent apporter de l’eau au moulin du récit « Alain le reptilien contre l’État profond ». Pour se défendre, notre homme brandit alors les thèses d’universitaires américains reconnus, comme Jeffrey Sachs ou John Mearsheimer, qu’il est capable de reprendre pendant des heures.

« Alain, c’est Wall-E. »

Laurent Jacob

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À l’instar de ces prises de risque inconsidérées en solo, ses positions, son personnage et ses projets seront toujours teintées de controverses. Comme si cela lui collait à la peau. Sûrement les marques d’un type qui a passé l’essentiel de sa vie à prendre sa revanche. « De mon point de vue, c’est beaucoup plus profond que ça, croit savoir Laurent Jacob, qui partage l’affiche d’un documentaire étonnant sur les clés de l’auto-guérison avec son ami. Ce qui est devenu le plus important chez Alain n’est pas ce qu’il est, mais ce qu’il représente à savoir le pied de nez permanent. Il a été fidèle à lui-même toute sa vie en nous disant : ‘Je suis petit, je suis mal foutu, je suis cassé de partout, et je vous emmerde’ ». Pour l’ancienne locomotive de l’escalade libre devenue docteur, son compère n’aurait pas conscience de la portée  - immense, selon lui - de son message. Mais lequel ? « Il nous prévient Alain, reprend Jacob. Il nous prévient que nous sommes à un moment de bascule et qu’il faut se réveiller si nous ne voulons pas finir ébouillantés comme la grenouille dans la casserole. Il me fait penser à ce petit robot qui, dans un monde devenu un dépotoir, tombe amoureux de la dernière fleur sur Terre. Alain, c’est Wall-E ».

Pour l’heure, le grimpeur destine plutôt son art à « la contestation d’une société de plus en plus policée, protégée et hyper sécuritaire ». À longueur d’interview, le trompe-la-mort ne cesse d’exhorter son public à « vivre ses rêves et à ne pas rêver sa vie ». Il en est persuadé : son histoire accidentée montre surtout qu’il est possible d’être « maître de son destin ». « Une étude de la CIA a montré que 80% des gens aux États-Unis n’aimaient pas leur boulot, explique-t-il. Moi, j’ai décidé assez tôt de choisir ce que je voulais faire dans la vie. Et je suis toujours resté libre ». Les faits et gestes de la vie d’Alain Robert sont à étudier comme autant de lignes de fuites à tout contrôle. De la corde d’abord, du monde de l'escalade ensuite, de la société enfin. Reste cette obsession à contrôler sa « legacy » mais, après quatre heures d’entretien, le Spiderman français semble enfin avoir trouvé l’apaisement : « Je ne veux pas passer pour un frustré, nous alerte-t-il. On m’a beaucoup sali dans la vie mais depuis, Alex Honnold et quelques journalistes m’ont rendu ma légitimité ».

Alors, quelle revanche reste-il à prendre ? Depuis que le petit Alain Robert a décidé de grimper l'immeuble de sa résidence en solo, il a connu la honte et la rédemption, le coma et la rééducation, le déshonneur et la gloire, les prisons et l’Élysée, Valence et Bali. En fin de repas, les deux frères Robert se rappellent à cette vieille idée de retaper une grange à La-Palud-sur-Verdon pour y couler des jours heureux en famille. Mais pas tout de suite, il y a d’abord un biopic à tourner (prévu pour 2026, ndlr), et surtout ce serait une vraie folie. « Je suis bien à Bali, il n'y a pas de tentation, explique Alain Robert. Si je m’installe dans le Verdon, j’irai grimper en solo tous les jours et ce n’est plus raisonnable. Je risquerai d’y passer alors que l’objectif ultime, celui qui dépasse tous les autres, c’est vivre ». 

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© Coll Alain Robert

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