Tarifs des salles d’escalade : le grand dévers
À mesure que les enseignes privées attirent des grimpeurs aussi débutants que gentrifiés, une question se pose sur le juste prix de leur entrée. À tel point que même les clients les plus aisés se demandent s’il est bien sérieux de débourser le prix d’un déjeuner en ville pour se coller sur des prises. Alors, pratiquer l’escalade en salle privée coûte-t-il trop cher ? Et bien, ce n’est pas si simple…
Commençons par les chiffres, les vrais. En 2024, environ 300 salles privées sont recensées sur le territoire national. Un chiffre en augmentation de 10 % en moyenne chaque année depuis 2019. Certaines salles proposent uniquement du bloc, d’autres de la voie, mais beaucoup font les deux à la fois. Près de la moitié appartiennent à des grands réseaux tels qu’Arkose, Vertical Art, Climb Up ou encore Bloc Session. Les tarifs sur lesquels s’alignent ces groupes ont donc logiquement un impact sur ceux des acteurs indépendants, forcés de suivre la tendance.
En observant les prix affichés à l’entrée, les offres varient en fonction de la salle et de la formule proposée. Pour les entrées à l’unité, le tarif normal le plus bas, hors happy hours, démarre à 14 €, tandis que le plus élevé, qui concerne essentiellement les sites parisiens, culmine à 18 €. Sur l’ensemble du territoire, la plupart des entrées uniques sont vendues à 16 ou 17 €. Sur les abonnements annuels, les offres varient énormément, mais en parcourant aléatoirement les sites web de différents types de salles, on s’aperçoit qu’un tarif moyen situé entre 500 € et 600 € se distingue assez vite. Sur la fourchette basse, on trouve Bloc Session, réseau de salles qui opère dans le sud et l’est de la France, souvent identifié comme le plus abordable du marché. Les salles du groupe proposent un abonnement de 42 € par mois, avec un engagement trimestriel, ce qui nous amène à un total de 505 € par an, bien que celui-ci puisse être abaissé à moins de 400 € pour peu que l’abonné s’autorise une coupure estivale. Fourchette haute : Blocbuster, qui se présente comme un groupement de salles premium et affiche un abonnement annuel à 720 €.
L’escalade, un sport de riches ?
Alors, inutile de s’échauffer plus longtemps : à 16-17 € l’entrée ou 550 € l’année, oui, pratiquer l’escalade en salle coûte cher. Du moins, c’est le cas quand on met ces tarifs en regard du budget annuel moyen des Français pour leur pratique sportive. Selon une étude OpinionWay réalisée pour Sofinco juste avant le début des Jeux Olympiques de Paris 2024, un Français seul qui s’adonne à au moins une activité physique débourse en moyenne 205 € par an en inscriptions, abonnements et matériel sportif. Cela peut sembler peu, surtout pour un public de grimpeurs très CSP+. Pas pour les 62% de Français qui trouvent que le sport leur coûte déjà trop cher.
L’escalade en salle se place donc bien au-delà de ces statistiques, fermant à la fois ses portes à tout un pan de la population, tout en rationalisant l’entre-soi socio-professionnel qui s’observe dans de plus en plus d’enceintes. À titre de comparaison, pratiquer la natation, un des sports les plus ancrés dans les habitudes des Français, revient beaucoup moins cher. Le pass annuel d’entrées libres à la piscine olympique Marx Dormoy de Lille coûte 127 €. Même tarif à la piscine Alban Minville de Toulouse, tandis qu’à Paris, là où tout coûte plus cher, l’addition s’élève à 229 € par an pour un accès illimité à la piscine Suzanne Berlioux nichée sous les Halles. Certes, la natation se pratique dans des piscines municipales financées en partie par les communes. Mais cela suffit-il à justifier un écart de prix avec les salles d’escalade de l’ordre du simple au double, voire au triple ? Autre exemple, plus parlant car plus proche du modèle des salles de grimpe : le fitness. Dans ces espaces aseptisés où la culture des pectoraux et fessiers bat son plein, les tarifs varient le plus souvent de 260 € l’abonnement annuel pour les plus abordables (la formule la moins chère chez Basic fit) à 450 € pour les plus complètes (formule premium chez Neoness).
Sauna, stand-up et défilés de mode
En valeur absolue, l’escalade en salle représente donc un coût élevé. Mais les prix affichés sont-ils pour autant totalement injustifiés ? Ce n’est pas l’avis de Ghislain Brillet, Président de l’Union des salles d’escalade (UDSE), qui considère que les tarifs ne sont pas chers au vu de ce que les salles ont à offrir à leurs adhérents ainsi qu’aux coûts de fonctionnement.
« Une séance d’escalade dans une salle de 1 500m2 chauffée, climatisée, avec un bar, du personnel, des douches individuelles, un turn-over d’ouverture d’un mois pour les blocs, de trois pour les cordes, ça ne coûte “que” 18 €, s’explique-t-il. Ce n’est pas pour rien que la plupart des salles sont alignées sur les mêmes prix. Et il ne faut pas oublier qu’une salle privée est une entreprise, et qu’aujourd’hui, les salles sont à peine à l’équilibre. Alors ces prix me semblent très justes. »
Il est vrai qu’en prenant en compte tous les services annexes inclus dans le package des salles et le nombre de séances annuelles d’un grimpeur régulier, il y a de quoi relativiser. Pour un abonné payant environ 550 € par an, deux grimpes par semaine suffisent par exemple à faire tomber le prix par séance à 5 €.
Par ailleurs, il faut reconnaître que le concept vendu par les salles d’escalade va plus loin que le simple mur de grimpe en libre accès. Une salle, c’est un espace de rencontre où les grimpeurs vont chercher l’activité sportive autant que le confort des différents espaces et services à leur disposition. La qualité des installations, la musique, l’accueil et les activités de divertissements participent à créer cette effervescence qui pousse les accros de la magnésie à revenir, semaine après semaine. « Les salles vendent tout un écosystème, elles sont un lieu de vie en ville pour les jeunes et les moins jeunes, estime Ghislain Brillet. Chacune a son concept : il y en a qui misent beaucoup sur la restauration, d’autres qui organisent des défilés de mode ou proposent du yoga, un accès au wifi performant pour les télétravailleurs, des compétitions, des soirées ludiques… Mais toutes veulent offrir de l’accessibilité, de la qualité dans les équipements, de la propreté, de la convivialité et de l’ouverture. » Récemment, certaines salles ont même commencé à inviter des humoristes pour des soirées stand-up, tandis que d’autres organisaient des visionnages des épreuves d’escalade aux JO dans des salons de projection cosy, avec les poufs et les canapés qui vont bien.
Bien que les prix se justifient à certains égards, cela contente-t-il les principaux concernés, à savoir les grimpeurs ? Si les tarifs n’ont pas l’air d’empêcher les salles de se remplir, du moins aux heures de pointe, les avis de ceux qui les fréquentent sont pour le moins nuancés sur le sujet. Sarah, grimpeuse occasionnelle parisienne, n’est pas choquée par les prix affichés dans les salles de la capitale, qui s’alignent finalement sur celui d’autres activités, mais trouve cela peu adapté et accessible pour les profils comme le sien, qui ne comptent pas s’attaquer aux murs chaque semaine. « Je comprends les prix des abonnements, qui sont sûrement rentabilisés lorsqu’on s’y rend 2 à 3 fois par semaine, reconnaît-elle. Mais dans mon cas, débourser 18 euros pour une séance unique, ou bien acheter un pass pour 10 entrées à 150 euros, c’est beaucoup trop ! » Cela a-t-il un impact sur sa pratique de l’escalade ? « Clairement ! J’aime l’ambiance des salles et j’aime ce sport, alors si les tarifs étaient un peu plus bas j’irai grimper plus souvent » affirme la jeune femme. Même son de cloche pour Jérôme, lui aussi grimpeur occasionnel à Tours. « Les prix sont trop élevés, pose-t-il sans détour. Cela m'empêche de pratiquer l’escalade autant que je le voudrais. Ce serait mieux s’il existait différents forfaits adaptés aux habitudes de chacun et à ce qu’ils attendent d’une salle d’escalade. »
L’équation impossible
Pour Jean-François Schreiber, fondateur et Président du réseau Bloc Session, les offres et tarifs de la majorité des salles ne sont qu’un trompe-l’œil. S’il reconnaît que les prix affichés sont cohérents avec la promesse des salles d’escalade, la réalité du marché serait plus nuancée. « Dans les faits, bien que les salles s’entêtent à vouloir se positionner sur du premium et des services annexes en tout genre, la demande ne suit pas et les grimpeurs ne sont pas prêts à débourser de telles sommes », pose l’entrepreneur, dont les salles sont considérées comme les plus low cost du secteur.
« Il y a un décalage entre les prix affichés et ce que déboursent vraiment les clients. Les salles sont obligées de faire constamment des promotions ou des rabais, et finalement très peu d’entre elles sont rentables. À mon sens, le segment premium n’existe pas. »
Le cas d’Etienne, grimpeur confirmé, illustre bien cette réalité. Le Bordelais, féru d’escalade depuis de nombreuses années, s’est débrouillé pour avoir un rabais et payer moins cher ses entrées. S’il apprécie les services annexes, il précise que ce n’est pas du tout cela qui l’amène au pied des blocs « Ce n’est pas ce que je recherche quand je vais à la salle d’escalade. Même si cela peut être plaisant de terminer ma séance par un sauna ou prendre un verre avec des amis grimpeurs » Pour lui, un prix d’abonnement annuel juste devrait se situer « autour de 250 € ».
Deuxième constat de Jean-François Schreiber, le décalage entre la promesse et la réalité de l’offre dans les salles. « Cette obsession des salles à vouloir faire du premium, en proposant un accès au sauna ou différents espaces qui font grimper la note, a encore moins de sens quand on voit la véritable utilisation que les abonnés en font : j’ai l’impression que le sauna ne fonctionne qu’une semaine sur deux et que l’espace de renforcement musculaire n’est quasiment pas fréquenté. » Sarah, la grimpeuse occasionnelle parisienne, remet le couvert, cette fois-ci sur l’offre de restauration. « Sur le principe, je trouve ça cool, mais concrètement c’est difficile de savourer sa pinte ou ses tapas quand ça sent la chaussette autour de la table. »
La difficile ascension vers la rentabilité
Cet engouement décevant des utilisateurs pour certains services annexes est confirmé à demi-mot par Ghislain Brillet, qui reconnaît par exemple que « les espaces de musculation dans les salles d’escalade n’ont pas réussi à faire leurs preuves à ce jour » et qu'une dynamique en faveur des salles à bas coût se dessine doucement. « Ce sont souvent des salles plus petites, elles proposent uniquement du bloc, avec moins de services additionnels, des vestiaires moins confortables et une offre de restauration réduite. » À peu de choses près, la description colle parfaitement aux salles du réseau de Jean-François Schreiber, qui rappelle que « les principaux coûts de fonctionnement sont le loyer et le personnel. » L’emplacement et la taille des salles ont donc un impact décisif sur le prix des entrées et des abonnements, « tout comme le nombre de services exigeant des ressources humaines supplémentaires ». Le modèle de Bloc Session, fondé sur une gestion stricte de ses espaces, des surfaces inférieures à celles d’autres enseignes et une implantation plus lointaine des centres-villes de grandes agglomérations, offre des pistes de réflexion aux gérants de salle pour envisager une escalade indoor plus abordable.
Autres inspirations pour une déflation des prix, le modèle des salles associatives. Bien que celles-ci soient difficilement comparables, autant par leur mode de financement que par l’expérience qu’elles proposent, il y a probablement des enseignements à tirer du côté de la gestion collective des salles et de l’offre d’escalade, fondée sur l’entraide, la collaboration et les activités en nature. Faites le Mur, une association située dans le dixième arrondissement de Paris, parvient à proposer une cotisation annuelle de 80 € à ses adhérents pour un accès quasi quotidien au mur d’une salle omnisport appartenant à la mairie. Les horaires sont plus réduits, la salle est partagée avec des clubs de handball et de volleyball, mais pour beaucoup de grimpeurs qui ont commencé l’escalade en salle privée, ces tarifs accessibles sont totalement inconnus.
Pour autant, la perspective d’une baisse des tarifs n’est à ce stade qu’une illusion, tant la rentabilité reste un objectif difficile à atteindre pour les salles privées, qui n’ont d’ailleurs jamais cessé d'augmenter leurs prix depuis une quinzaine d’années. En 2020, le Covid a mis un coup d’arrêt au secteur, et après une courte période de relance, l’inflation est venue s’abattre de plein fouet sur les salles comme sur tout le secteur du sport privé. « Le bois coûte plus cher, les ressources humaines et l'électricité aussi, tout comme la taxe foncière » explique le Président de l’UDSE, sans compter le début des remboursements des prêts garantis par l'État contractés lors de la pandémie. « Il y a encore quelques années, toutes les salles étaient à 15 euros l’entrée, même à Paris. Et au début des années 2000, lorsque j’étais gérant, je me souviens avoir affiché le même prix d’entrée de 10 euros pendant au moins 5 ans. Aujourd’hui, les charges augmentent trop vite, et la croissance est un mal nécessaire pour survivre, » soupire Ghislain Brillet. Malgré nos sollicitations, ni l’UDSE, ni les enseignes contactées pour cette enquête n’ont souhaité partager la répartition, même approximative, des principaux coûts et recettes liés à la gestion d’une salle, ce qui complique la visibilité sur la marge de manœuvre dont elles disposent et les pistes de réflexion pour une escalade plus abordable.
Le plus probable est donc que les salles augmentent encore leurs tarifs dans les prochaines années. Alors que l’escalade connaît un succès croissant, avec de plus en plus de nouveaux adeptes chaque année, sa pratique en salle est donc à la fois chère pour les grimpeurs et difficilement ajustable pour les gérants en quête de viabilité.