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Punta Pioda : dernière face vierge, dernier bastion du sauvage ?

Photo du rédacteur: Adrien BatailleAdrien Bataille

Il y a des montagnes qu'on grimpe pour la légende. Et puis il y a celles qu'on grimpe parce que personne ne l'a encore fait. Celles dont on n'a même pas retenu le nom au premier coup d’œil sur la carte. Pourtant, l’aventure, la vraie, s’écrit aussi là. Entre le 6 et le 9 mars 2025, Roger Schaeli, Filippo Sala et Silvan Schüpbach ont fait tomber la dernière grande face vierge des Alpes suisses. 700 mètres de muraille brute, du mixte, de l’artif et du libre, quelques bivouacs dans le froid, une ligne qu’ils ont baptisée Luce e Tenebre – lumière et ténèbres. Une ascension aux allures de film noir, mais dont personne n’avait écrit le scénario à l’avance.


Punta Pioda
© Topoguide.de

Pioda di Sciora : l’anonyme qui ne voulait plus l’être


Punta Pioda, ou Pioda di Sciora pour les intimes, 3 237 mètres d’altitude dans le canton des Grisons. On est ici dans la chaîne des Sciora, ce repaire de granit dressé au-dessus du Val Bregaglia. Un groupe de sommets moins clinquants que les icônes du coin – l’Eiger, le Cervin, les Grandes Jorasses.


Et pourtant. La face nord de Punta Pioda avait tout d’un grand terrain de jeu inexploré : raide, engagée, technique. Mais elle était restée intacte, vierge, délaissée comme un dernier bastion du sauvage dans des Alpes saturées de lignes historiques. C’est précisément ce genre de mur oublié qui obsède Silvan Schüpbach, l’un des trois grimpeurs à l’origine de cette première. Il s’est mis en tête de rayer les dernières faces nord jamais gravies des Alpes. Un manifeste pour l’alpinisme d’exploration, un refus des sentiers battus.


4 jours entre le granit et le vide


Luce e Tenebre, c’est 700 mètres d’une grimpe qui ne fait pas de cadeaux. Une cotation mixte en M8, A3, 70°, c’est-à-dire une équation parfaite entre l’engagement mental et l’épuisement physique. Dès les premières longueurs, le ton est donné : le rocher est parfois douteux, la protection précaire, le froid mordant. Les trois grimpeurs alternent escalade libre et artif pour négocier la progression.


Ils passent une première nuit au refuge Sciora, comme une dernière étape avant de s’engouffrer dans l’inconnu. Puis viennent deux bivouacs suspendus dans la paroi, entre les heures de combat et les tentatives de sommeil dans un froid qui s’infiltre jusque dans les os.

“Chaque pitch était un vrai combat”, résume Filippo Sala. Une bataille contre le rocher, contre les forces qui vous tirent vers le bas, et surtout contre cette petite voix qui vous demande pourquoi vous êtes là au lieu d’être dans un canapé, un chocolat chaud à la main.


Face Nord Punta Pioda
© Thomas Crauwels

Une ligne, un style, une philosophie


Il y a les premières réalisées au chausse-pied, en traçant la ligne la plus “facile”. Et puis il y a celles qui respectent l’esprit du lieu. Luce e Tenebre appartient à cette seconde catégorie. Une ascension qui n’a pas cherché la facilité, mais le respect du mur. Pas de surenchère technique, juste une ligne qui suit la logique naturelle de la face. La preuve d’un alpinisme qui ne court pas après le chiffre, mais après le frisson de l’inconnu.


Et après ?


Punta Pioda n’est pas devenue une star. Elle restera une montagne de niche, un terrain d’aventure réservé à ceux qui aiment les faces oubliées. Silvan Schüpbach, lui, ne compte pas s’arrêter là. Il a déjà coché d’autres faces nord, d’autres bouts d’alpinisme encore vierges sur sa carte mentale.


Quant à nous, on peut se poser la question : combien reste-t-il de ces faces sauvages en Europe ? Combien de lignes encore vierges à une époque où chaque recoin des Alpes est scruté par Google Earth ?

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