top of page

Les glaciers se font la malle, mais la poésie reste : plongée dans Les Sources de Glace

Dernière mise à jour : 10 avr.

On a tout cramé. Les forêts, les hydrocarbures, nos illusions. Et maintenant, c’est la glace qui trinque. Pas juste une fonte anodine, pas un simple réajustement climatique — non, c’est une hémorragie blanche qui ne cicatrise pas. En 2025, les Nations Unies, un peu à la bourre, ont décidé de consacrer une Année internationale de la préservation des glaciers. Une noble intention, qui arrive comme un extincteur face à un feu de forêt. Pendant ce temps, Nastassja Martin et Olivier de Sépibus ont pris un autre chemin : celui de l’art, de la littérature et de la photographie, pour raconter la tragédie en cours avec autre chose que des courbes et des pourcentages.


Les sources de glace

Le résultat, "Les Sources de Glace", est un livre qui ne joue pas le jeu du constat clinique. C’est un cri feutré, une élégie glacée où la puissance des images répond à la densité des mots. Un livre pour ceux qui ont compris que le combat est déjà perdu, mais qui refusent de détourner le regard.


Glace sans fard, mots sans filtre


Olivier de Sépibus monte à la rencontre des glaciers alpins depuis vingt ans. Il n’en ramène ni selfies ni grimpeurs en collant fluo, juste des paysages sans humains, immenses et désertés. Une matière en train de fondre, au propre comme au figuré. Ses clichés sont bruts, presque austères. Pas d’artifice, pas de mise en scène : juste la montagne qui se délite sous nos yeux. Un travail qui rappelle que, bien avant que l’homme n’invente le concept de paysage, la glace était là, souveraine, indifférente. Et qu’aujourd’hui, elle crève en silence.


En face, Nastassja Martin. Anthropologue, écrivaine, poétesse de la fin des mondes. Elle pose des mots là où l’image seule pourrait suffire. Mais pas pour expliquer, encore moins pour consoler. Son écriture est une cartographie de la perte, un voyage entre la peinture, la mythologie et la science pour tenter de comprendre ce qui meurt sous nos yeux.


Les sources de glace
© Vertige Media
« Quelque chose meurt, quelque chose se crée, il est temps d’écouter la voix des sources de glace. »

La glace parle, gronde, gargouille. Elle se brise et se reforme. Elle ne disparaît pas vraiment, elle se sublime – littéralement. D’état solide à état gazeux, sans passer par la case liquide. Elle nous file entre les doigts, au sens chimique du terme.


Glaciers : mémoire d’éléphant, destin de papillon


On ne le dit pas assez, mais la glace est une bibliothèque naturelle. Une mémoire de l’atmosphère, piégée dans des bulles d’air vieilles de plusieurs centaines de milliers d’années. On y lit l’histoire du climat, les caprices de l’air, les fièvres de la Terre. Sauf que voilà : on est en train de cramer les archives.


La fonte n’est pas qu’un drame paysager ou un défi pour les stations de ski. C’est une perte de savoir, un trou béant dans l’histoire du monde. Les carottes glaciaires qu’on extrait en catastrophe pour les stocker dans des frigos sous atmosphère contrôlée, c’est l’équivalent du pillage des musées au crépuscule d’une civilisation. Une tentative désespérée de sauver les miettes.


Et face à ça, les mots de Nastassja Martin sont sans appel :

« Nos idées sur le monde ne sont plus tenables, ne sont plus vivables, comme les montagnes et leurs glaciers, elles ne tiennent plus debout. »

Le paysage tel qu’on l’a appris, tel qu’on l’a peint, célébré, fantasmé, n’existe plus. Il se dissout sous nos yeux.


Les sources de glace
© Vertige Media

De Prométhée à l’Anthropocène : l’hubris en hors-piste


Depuis que l’homme a décidé qu’il pouvait domestiquer la nature, il a tout réécrit à sa sauce. La montagne, autrefois domaine des dieux et des esprits, est devenue un terrain de jeu, puis un décor, puis une ressource. On a objectivé le monde, rationalisé l’altitude, balisé l’inconnu.


Et maintenant que tout se fissure, on panique. On veut "sauver" ce qu’on a détruit, tout en continuant à jouer aux alpinistes du progrès. Comme si une bonne dose de geoengineering pouvait faire tenir ce qui ne tient plus. Comme si un peu de pompage sous-glaciaire allait ralentir la grande débâcle.


« Nous avons stabilisé une idée de la sauvagerie à dompter en nous et hors de nous. (...) Le ciment qui tenait ensemble tout ce bel édifice mythologique se dissipe et la forme s’effondre dans une série d’éboulements fracassants. »

Bienvenue dans le post-paysage, où la montagne n’a plus la même gueule qu’avant et où nos certitudes prennent l’eau.


Les sources de glace
© Vertige Media

Un livre-manifeste, sans banderole ni slogan


Il y a mille manières d’aborder la catastrophe. Les rapports du GIEC, la collapsologie en mode check-list de fin du monde, les vidéos YouTube qui hurlent à l’apocalypse imminente. Les Sources de Glace prend un autre chemin : celui du regard, du langage, du trouble.


C’est un livre ni optimiste ni pessimiste, mais lucide. Qui ne cherche pas à convaincre, encore moins à mobiliser. Juste à poser un instantané. Voilà où nous en sommes. Voilà ce que nous avons fait au monde. Voilà ce que nous sommes en train de perdre.


« Revenir de la stupéfaction. Réapprendre à voir ce qui meurt, et ce qui naît. »

Les Sources de Glace est disponible en librairie depuis le 13 mars. Il ne vous donnera pas les clés d’un futur radieux. Mais il vous rappellera, en mots et en images, pourquoi il faut continuer à aimer ce qui s’efface.

PLUS DE GRIMPE

bottom of page