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Aurélia Mardon : Prendre de la hauteur – Quand l'escalade en salle forge le genre à l'adolescence

Photo du rédacteur: Pierre-Gaël PasquiouPierre-Gaël Pasquiou

Derrière la simplicité apparente des murs d’escalade se cachent des dynamiques sociales bien plus complexes. De plus en plus d’observateurs s’y intéressent, et Aurélia Mardon, sociologue et ancienne grimpeuse, s’est plongée dans cette analyse avec son livre "Prendre de la hauteur, Escalade en salle et fabrique du genre à l'adolescence". À la croisée de la sociologie, des études de genre et du sport, ce travail s’interroge sur la manière dont l'escalade, loin de sa neutralité supposée, façonne les jeunes grimpeuses et grimpeurs, renforçant parfois les stéréotypes de genre qu’elle semble pourtant vouloir dépasser.


Prendre de la hauteur
© Vertige Media

Une sociologue passionnée devenue observatrice distanciée


Aurélia Mardon ne cache pas que ses années de pratique ont façonné son regard sur l'escalade. « J'ai grimpé pendant 25 ans », confie-t-elle, « mais au moment de lancer cette enquête, j’ai progressivement arrêté, et cette prise de distance m’a offert un autre regard. » Ce retrait n’a pas affaibli son lien avec la discipline, mais lui a permis d’y revenir avec un œil critique. « Quand on est passionné·e, on ne voit pas toujours les mécanismes sociaux qui opèrent sous nos yeux, notamment ceux qui se jouent dans les interactions », ajoute-t-elle. Ce basculement entre le rôle de pratiquante et celui d'observatrice lui a permis de disséquer des aspects souvent idéalisés de la pratique, tels que la supposée neutralité de genre dans les salles d'escalade.


« Ces codes sont là, profondément enracinés, et façonnent la manière dont chacun·e évolue dans l’escalade »

Cette neutralité est loin d’être une évidence, en réalité. « L’escalade en salle est perçue comme un sport où les corps, qu'ils soient féminins ou masculins, devraient être traités de la même manière », explique Aurélia Mardon. Mais son enquête révèle l’inverse. « Les stéréotypes de genre sont là, parfois même renforcés par les structures et les pratiques de ce sport. » Que ce soit dans la répartition des rôles, les interactions entre les jeunes, ou encore les attentes autour des performances physiques et techniques, des normes genrées apparaissent, souvent inconsciemment reproduites. « Ces codes sont là, profondément enracinés, et façonnent la manière dont chacun·e évolue dans l’escalade », résume-t-elle.


La salle d’escalade : un laboratoire social en pleine expansion


Avec la multiplication rapide des salles d'escalade, notamment en milieu urbain, Aurélia Mardon a trouvé un terrain d’étude idéal pour ses recherches. Spécialiste de l’adolescence, elle s’est concentrée sur cette tranche d’âge charnière, où la construction identitaire bat son plein. « Ce qui m’a interpellée, c’est la manière dont l’escalade en salle, perçue comme une activité neutre et mixte, participe en fait à la fabrication du genre », explique-t-elle. Derrière l’apparente égalité, des comportements et des attentes genrés s’installent subtilement, façonnant des trajectoires différentes pour les garçons et les filles.


L’un des exemples les plus frappants concerne l’ouverture des voies, une activité technique et prestigieuse. « Elle est largement dominée par les hommes », observe Mardon. Cette répartition inégalitaire s’installe dès l’adolescence. « Que ce soit dans les clubs ou les salles privées, il y a très peu de femmes qui accèdent à ces postes. » Cette réalité n’est pas un hasard : elle reflète une distribution genrée des rôles dès les premières expériences des jeunes grimpeuses et grimpeurs. Les garçons sont davantage poussés à se dépasser physiquement, tandis que les filles sont encouragées à se concentrer sur la technique ou la prudence. Des distinctions qui semblent mineures au premier abord, mais qui finissent par influencer durablement les trajectoires de chacun·e.


Les loisirs, un espace où se forment (et se remettent en question) les normes de genre


Les loisirs, et plus particulièrement les sports, jouent un rôle clé dans la socialisation de genre, rappelle Aurélia Mardon. « L’escalade en salle valorise la force physique, une qualité traditionnellement associée aux garçons, tandis que les filles sont souvent orientées vers des compétences comme la technique ou la prudence », observe-t-elle. Mais, nuance importante, ces dynamiques varient selon les contextes sociaux. « Dans certains groupes, notamment parmi les jeunes issus de milieux populaires, on observe moins de reproduction des stéréotypes genrés », précise-t-elle. À l’inverse, les adolescents des milieux favorisés, notamment ceux engagés dans la compétition, tendent à reproduire ces stéréotypes de manière plus marquée.


« Dans certains groupes, notamment parmi les jeunes issus de milieux populaires, on observe moins de reproduction des stéréotypes genrés »

Aurélia Mardon note également que certaines salles et clubs adoptent des pédagogies plus inclusives, visant à briser ces dynamiques. Ces environnements encouragent une répartition plus équitable des compétences et des responsabilités. Mais malgré ces efforts, ils peinent souvent à déconstruire un système où les attentes restent largement différenciées selon le genre, et où les modèles traditionnels persistent.


Une écriture accessible et inclusive : une cohérence entre fond et forme


Si "Prendre de la hauteur" se distingue, c’est en grande partie grâce à l’accessibilité de son écriture. « Dès le départ, je voulais que ce livre soit lisible par un public large, pas seulement des universitaires », explique Aurélia Mardon. En simplifiant les concepts sans en réduire la profondeur, elle parvient à rendre la sociologie du genre et du sport compréhensible et engageante pour toutes et tous.


Un autre aspect marquant de son ouvrage est son choix d’une écriture inclusive, un choix qui, loin de compliquer la lecture, renforce la cohérence de son propos. « L’écriture inclusive était presque incontournable », confie-t-elle. Ce choix stylistique s’aligne avec les sujets abordés, contribuant à rendre l’ouvrage à la fois pertinent et accessible à tous et toutes.


Un prisme nouveau sur l’escalade


Avec "Prendre de la hauteur", Aurélia Mardon propose un regard neuf sur une pratique souvent perçue comme égalitaire. En explorant les dynamiques sociales et genrées qui se jouent derrière les murs d’escalade, elle invite les grimpeuses et grimpeurs à interroger des aspects souvent invisibles de leur discipline. Accessible, rigoureusement documenté et percutant, cet ouvrage est une lecture incontournable pour quiconque souhaite comprendre l’escalade au-delà des aspects techniques, et saisir les implications sociales qui l'accompagnent.


"Prendre de la hauteur. Escalade en salle et fabrique du genre à l'adolescence" est disponible sur le site de la FNAC en cliquant ici.

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